Sur la Falaise [en réécriture]

Chapitre 7 : Chasseurs et Tailleurs (1/2)

La visite des deux Villages suivants se déroula sans encombre : Eldola y retrouva la même atmosphère de liesse, quoique le Village des Agriculteurs et celui des Éleveurs ne puissent témoigner de la même opulence que celui des Artisans, possédant le strict minimum de bioTech leur permettant d'exploiter efficacement leurs ressources. Le Secrétaire James s'était occupé des discussions avec les Proximes, limitant les occasions où Eldola aurait pu commettre un impair. Il semblait pour l'instant ravi du déroulé de la visite.

⎯ Vous vous en êtes mieux sortie que ce que j'espérais, Administratrice, les Villageois sont sous le charme. J'avoue avoir fait partie des sceptiques concernant cette union, mais je me range volontiers de votre côté, désormais. Vos manières gracieuses devraient pouvoir contrebalancer celles... eh bien, disons quelque peu atypiques de votre époux. D'ailleurs, j'imagine qu'il ne vous a pas touchée durant la nuit de noces ?

Eldola retint son souffle. Comment James pouvait-il savoir ? Elle n'en avait parlé qu'à Barnabé, et tous les deux avaient intérêt à ce que cette information reste confidentielle. Elle se ressaisit instantanément en déduisant que ce n'était qu'une supposition de la part de James.

⎯ Vous dépassez les limites de la décence, Secrétaire, lui lança-t-elle en se détournant.

⎯ Loin de moi l'envie d'être indiscret, je voulais au contraire vous rassurer. Depuis dix ans que je travaille avec Friedrich, je ne l'ai jamais vu s'intéresser à une femme. Ou même à un homme. Il semble indifférent à tout être qui l'entoure, hormis son cheval !

Eldola jubila intérieurement : elle n'en demandait décidément pas tant !

⎯ N'allez donc pas croire que c'est à cause de vous, continua James. Bien au contraire, une femme d'une beauté aussi exotique que la vôtre n'aura aucun mal à trouver un amant quand la solitude lui pèsera trop.

Pour accompagner ses paroles qui se voulaient réconfortantes, James lui pressa la main. Eldola réprima un frisson de dégoût et dut se retenir de ne pas le rejeter violemment ; elle détestait qu'on la touche ainsi... C'était le seul point faible de son plan : si on se rendait compte que Friedrich ne s'intéressait pas à elle, cela risquait d'attirer des prétendants persuadés de voler à son secours, aussi sûrement qu'une lampe à lucioles attirait tous les moustiques du voisinage. De sa maigre expérience, Eldola avait constaté que les hommes refusaient de croire qu'une femme préfère rester seule ; il valait mieux les convaincre qu'elle avait une aversion profonde pour l'infidélité. Elle dégagea sa main de celle de James.

⎯ Je vous remercie, Secrétaire, mais ce ne sont pas les valeurs que m'a inculquées l'Institut.

⎯ Si vous insistez..., se reprit James. N'ayez tout simplement pas trop d'attente envers Friedrich, pour votre propre bien.

Eldola espérait atteindre le bout de sa peine, alors qu'en réalité les vrais défis étaient sur le point de commencer. Quand elle arriva au Village des Chasseurs, elle fut frappée par la différence de terrain : aux limites de la Localité, le Village était attenant à une forêt dense, enfin à l'abri du vent. Le bruissement doux et discret des feuilles ainsi que l'ombre et la fraîcheur du sous-bois laissaient présager un endroit paisible ; il n'en était rien. Avant même de distinguer le moindre bâtiment, elle entendit des voix gronder, s'intimider, puis exploser.

⎯ J'aurais dû m'en douter..., murmura James, visiblement exaspéré. Administratrice, préparez-vous, vous allez avoir votre première épreuve d'autorité. Surtout, ne reculez pas. Et laissez-moi parler.

Eldola se demanda ce qui pouvait bien causer tant de commotion ; en descendant du carrosse, elle aperçut Friedrich, seul face aux Chasseurs, sous le feu de leurs invectives incendiaires. Il portait toujours une tenue simple, avec juste une chemise et un pantalon d'équitation. Pourtant, il se tenait bien droit, campé sur ses positions, et il ne semblait pas le plus apeuré dans cette discussion ; Eldola dut lui reconnaître un certain panache malgré son air décoiffé... Friedrich ne remarqua même pas l'arrivée de son épouse et de son Secrétaire, tant il était absorbé par la violente altercation avec les habitants.