Chapitre 6 : Pupille (1/2)

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Eldola jouait avec ses mèches de cheveux rêches en observant les autres Pupilles. Évidemment, ses cheveux étaient les plus courts de tous. Évidemment. Les autres fillettes ne devaient pas avoir assez de jugeote pour comprendre qu'avoir l'air trop féminin, c'était se mettre en danger : pour survivre dans la rue, il valait mieux avoir l'air d'un garçon, et c'était exactement ce à quoi Eldola ressemblait avec ses cheveux courts et son vaste pantalon. D'habitude, elle prenait soin de masquer le peu de poitrine qu'elle avait avec des bandages, mais il n'y avait quasiment pas d'hommes dans l'avant-poste de l'Institut, et aucun n'avait encore essayé de la toucher. Étrange. Dans le Désert, les hommes ne prenaient pas la peine de masquer leurs pulsions. Ces petites pimbêches avaient tort de leur faire confiance, en se pavanant avec leurs beaux cheveux longs et lisses qui virevoltaient à chaque fois qu'elles tournaient la tête. Eldola se dit qu'aucune d'entre elles ne devait avoir un parent qui les forçait à se raser la tête dès qu'elle trouvait que c'était trop compliqué de s'en occuper. À vrai dire, aucune d'entre elles ne devait avoir de parents tout court : toutes des orphelines, ou des fugueuses, ou des enfants volées, au choix, bref, la lie de toutes celles dont personne ne voulait s'occuper.

Sauf le Technaume. Enfin, en apparence. Ils ne voulaient pas vraiment s'en occuper, juste les utiliser plus habilement que les autres. Eldola était sidérée de la facilité avec laquelle les autres filles avaient été convaincues : on leur avait donné une chambre et de quoi se laver, on leur avait distribué des jolies robes pour les habiller comme des poupées, et elles étaient prêtes à jurer une loyauté absolue à un pays dont elles n'avaient jamais entendu parler. Pathétique. Eldola avait évidemment refusé les robes : un vêtement encombrant pour acheter sa loyauté ? Très peu pour elle. C'était elle qui se servait du Technaume, et pas l'inverse. Elle était là pour une seule et unique raison : apprendre à se battre. Et pour l'instant, elle était plutôt déçue : ce type, Edgar, avait comme par hasard oublié de lui mentionner qu'il y avait surtout plein de cours obligatoires et ennuyeux. Les combats n'étaient qu'une toute petite partie de la formation reçue par les Pupilles pour devenir des espionnes accomplies. Mais ça y est, enfin, son premier cours de combat allait commencer. Eldola n'en pouvait plus d'attendre, sa cicatrice lui semblait brûlante, comme pour lui rappeler la raison de sa présence ici...

Sans surprise, c'était Edgar qui enseignait le combat. Logique. C'était la seule personne qu'Eldola avait croisée dans l'avant-poste qui avait vraiment l'air d'un guerrier. Enfin, pas directement, il ressemblait plus à un habitant indolent de Rai-Lo-Clair qu'à un Chef de Clan ; mais il y avait quelque chose dans sa manière de bouger, quelque chose de souple, et d'alerte, et de disponible, comme s'il pouvait réagir à n'importe quoi, n'importe quand. La confiance aussi. Il irradiait la confiance en lui, comme si personne ne pouvait lui faire de mal. Et c'était exactement ça qu'Eldola voulait.

Edgar s'avança face aux gradins où étaient assises les Pupilles, et le silence se fit naturellement. Il était de loin l'Instructeur le plus jeune de l'avant-poste, à peine plus de vingt ans, mais son autorité naturelle imposait le respect. Il toisa son auditoire et commença son cours :

⎯ Bienvenue en cours de combat rapproché, Pupilles, attaqua-t-il en parlant le Dialecte. J'ai noté une baisse d'attention ces derniers temps durant ce cours. J'imagine que cela signifie alors que vous êtes la meilleure promotion jamais vue dans l'histoire de l'Institut. Car certes, une très bonne Observatrice n'aura probablement jamais besoin de ces leçons, si elle sait éviter les situations dans lesquelles sa vie est en danger. Mais si vous êtes juste une bonne Observatrice, voire une Observatrice un peu moyenne, alors je vous conseille d'écouter attentivement ce qui va suivre, car votre vie dépendra de vos réflexes et de votre capacité à survivre. Et je suis prêt à parier qu'il y a au moins une ou deux personnes dans cette pièce qui ne deviendront pas de très bonnes Observatrices.

Les Pupilles semblaient frustrées, mais désormais concentrées ; le cours de combat n'était pas très populaire, et Eldola ne comprenait absolument pas pourquoi. Le meilleur moyen de rester en vie, c'était de savoir tuer la personne en face de soi, fin de l'histoire, il n'y avait pas besoin de tergiverser.

⎯ Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux armes de jet, continua Edgar. Même si nous étudions le combat rapproché, il convient parfois de faire en sorte qu'il ne soit pas trop rapproché, notamment si le rapport de force ne joue pas en votre faveur, ce qui sera souvent votre cas. Pour m'assister, je vais demander à notre nouvelle Pupille Eldola de venir me rejoindre.

Tous les regards se tournèrent simultanément vers Eldola, qui se sentit mal à l'aise. À quoi jouait Edgar ? Était-ce un test, pour prouver qu'elle était motivée ? Ou au contraire, voulait-il la ridiculiser pour lui montrer l'étendue de ce qu'elle ignorait ? Elle détestait qu'on la manipule. Mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle se leva, contourna les Pupilles en silence, et vint se placer à côté d'Edgar sans lever les yeux vers les gradins. Elle n'en avait rien à faire de ces idiotes, tout ce qui comptait, c'était l'opinion qu'Edgar avait d'elle. Il lui tendit une dague d'entraînement, légère et émoussée, et mit en place une cible devant elle.

⎯ La Pupille Eldola va nous faire la démonstration. Place-toi le plus loin possible de la cible, puis lance le poignard en son centre. Positionne-toi à la distance maximale à laquelle tu penses pouvoir réussir l'exercice.

Eldola comprenait de moins en moins : c'était lui qui devait leur apprendre des techniques de combat, pas l'inverse, à ce qu'elle avait compris. Elle l'observa un instant pour voir s'il allait revenir sur sa décision, mais non, Edgar attendait calmement qu'elle s'exécute. Eldola réfléchit à la distance standard qu'on devait attendre d'une jeune fille comme elle, et alla se placer à quelques enjambées de la cible.

⎯ J'ai dit la distance maximale, Pupille Eldola, pas minimale, la réprimanda Edgar.

C'est alors qu'Eldola comprit : il la testait, pour voir de quoi elle était vraiment capable. 

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant