Chapitre 16 : Tailleurs et séduction (1/5)

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    Quelques jours plus tard, Eldola eut le plaisir de voir arriver Mimi dans une de ses robes reprisées par Betsy, et en effet, la Secrétaire avait bien meilleure allure : la robe était simple, en nuances de blanc et de beige, mais la coupe serrée sous sa poitrine mettait en valeur sa féminité et sa minceur, tandis que le long drapé jusqu'au sol la grandissait ; Betsy n'avait pu s'empêcher de compléter la tenue avec un ruban orné de motifs végétaux faisant office de ceinture et également répété en bordure de la robe à ses pieds, mais Eldola avait l'impression que la nuance de vert pâle choisie mettait en valeur le teint et les cheveux pâles de la Secrétaire. N'ayant plus de lunettes pour se dissimuler, Mimi avait commencé à prendre la fâcheuse habitude de rabattre ses mèches rebelles sur son visage pour essayer de se cacher, mais Betsy avait également remédié à cela : Eldola n'avait aucune idée des arguments qu'elle avait dû déployé, mais Mimi arborait un serre-tête élégant agrémenté de fleurs et de baies séchées, dégageant franchement les côtés de son visage ; à ses oreilles pendaient même des boucles constituées de gemmes également vert pâle. L'ensemble était équilibré et discret, mais dégageait une impression de grandeur modeste et de sérénité imposante. Exactement ce qui convenait à une Secrétaire. Eldola devait le reconnaître, Betsy était indéniablement très douée dès qu'il s'agissait d'apparences...

    En outre, la fin de la préparation de cette tenue était le signal convenu entre les deux femmes. Eldola enclencha donc la première étape de son plan en prévenant Mimi que cet après-midi elle souhaitait passer au Village des Artisans pour négocier le prix du nouveau carrosse. Elle justifia la présence de ses deux domestiques en avançant qu'elle avait besoin de sa Secrétaire pour évaluer les ressources disponibles, tandis que sa Chambrière allait en profiter pour faire quelques emplettes pour le manoir. C'était tout à fait plausible, surtout depuis que Betsy suivait Barnabé comme son ombre pour noter ses faits et gestes concernant l'entretien du manoir : elle ne semblait jamais être à court de questions, que ce soit sur les arrangements floraux ou la régulation de la température des pièces ; Eldola en serait presque venue à plaindre le pauvre Intendant qui ne parvenait pas à éloigner la Chambrière à moins de lui donner des courses à faire. Mimi ne se douta donc de rien : la matinée fut consacrée à la correspondance, puis Eldola demanda à Betsy de l'aider à s'habiller convenablement pour sa visite. Quand elles montèrent dans le carrosse, Mimi remarqua à peine la malle qu'Ivan fixait à l'arrière, persuadée qu'il s'agissait des affaires de Betsy pour les emplettes. Ce ne fut qu'à la moitié du trajet qu'elle réalisa soudain que la direction n'était pas la bonne :

- Administratrice... Je suis étonnée que nous passions par ce chemin, ça me semble être un long détour pour aller chez les Artisans...

- Je ne vous ai pas prévenue ? Nous allons d'abord faire une halte chez les Tailleurs, je dois discuter avec les Proximes Robert et Emma, expliqua innocemment Eldola.

    Le visage de Mimi devint livide, comme si tout le sang s'en était instantanément retiré ; Eldola n'aurait pas cru qu'elle pouvait devenir plus pâle qu'elle ne l'était déjà en temps normal. Elle espérait que la jeune fille n'allait pas faire un malaise, car elle avait besoin d'elle consciente pour que son plan fonctionne.

- Je... je... je suis désolée, je ne peux pas..., bégaya la pauvre Mimi, complètement désemparée.

- Ne vous inquiétez pas, ce ne sera pas très long, tenta de la rassurer Eldola.

- J'ai hâte de découvrir où vous avez grandi ! lança Betsy pour détendre l'atmosphère.

- Où j'ai... Non ! Vous ne devez parler à personne ! s'écria Mimi. Et ma famille ne doit surtout pas me voir ainsi...

- Détendez-vous, nous allons nous adresser uniquement aux Proximes, la rassura à nouveau Eldola en foudroyant Betsy du regard.

    Le reste du trajet se déroula dans un silence pesant, entrecoupé des gémissements et gigotements de Mimi. Heureusement, le Village des Tailleurs était le plus proche du manoir, et bientôt les bâtisses de pierre furent en vue. Comme cette fois-ci sa visite n'avait pas été annoncée, Eldola put enfin voir le Village des Tailleurs lorsqu'une activité normale y régnait, et non pas quand tous avaient ordre de se cacher pour protester contre le pouvoir local : il y avait essentiellement des femmes et des enfants sur la place principale, en train d'effectuer des corvées basiques comme nettoyer et faire sécher le linge ou préparer à manger pour le soir. Les activités ne cessèrent pas avec l'arrivée du carrosse, mais de nombreux murmures parcoururent l'assemblée, et Eldola vit plusieurs personnes sortir en hâte pour aller un peu à l'écart du Village. Les Proximes ne devraient pas tarder à être au courant de sa venue... Quand elle descendit avec ses deux domestiques, elle remarqua qu'on lui lançait des regards désapprobateurs, sans doute autant pour sa tenue toute en volume que pour son statut : comme l'avait expliqué Mimi, les gens d'ici étaient habillés de manière très simple voire simpliste, à tel point que les anciennes robes de Mimi au manoir semblaient des tenues luxueuses en comparaison ; ces gens étaient à l'image de la pierre qu'ils travaillaient, durs, secs, tendus, tout de gris vêtus et sans aucun angle pour les aborder. Pour un peu Eldola se serait sentie de retour dans le Désert Gris, mais il y avait ici une solidarité que la survie demandée par le Désert ne pouvait pas permettre. Même la température ressemblait à celle du Désert en plein milieu de la nuit : l'hiver s'annonçait, mais pas de neige en vue aussi près de la falaise ; Eldola avait déjà vu cette étrange poudre blanche cotonneuse à l'Échangeoir, mais ici le climat était trop tempéré. Mimi faisait de son mieux pour masquer ses tremblements, qu'on aurait pu croire dus au froid, mais visiblement elle était partagée entre l'espoir que personne ne la reconnaisse et l'envie de s'enfuir en courant pour ne pas prendre ce risque. Un groupe d'enfants téméraires vint néanmoins s'approcher du convoi de la Locale, et Eldola reconnut aussitôt la tête blonde qui menait la petite troupe.

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant