Eldola finit par le dénicher son époux à l'autre bout du salon de réception, s'entretenant à voix basse avec les Proximes des Villages des Artisans et des Agriculteurs. Elle reprit son souffle pour se donner meilleure contenance : certes, elle avait besoin de son mari, mais pas question de mentionner qu'elle venait de gifler le Provincial.
⎯ Friedrich, j'ai besoin que vous veniez, le Provincial souhaite que nous fassions un discours.
⎯ Je vois que vous avez déjà réussi à trouver l'homme le plus puissant de la pièce..., lui répondit froidement son mari. Ce sera sans moi, je dois m'entretenir avec les Proximes d'affaires urgentes.
⎯ Plus urgentes qu'un discours devant le Provincial ? s'étonna Eldola.
⎯ Les autres Proximes ont refusé de venir à la réception, lui apprit la Proxime des Agriculteurs avant de se faire foudroyer du regard par Friedrich.
⎯ Ils ne l'ont pas présenté ainsi, mais c'est une conclusion qu'on pourrait avancer, rectifia le Local qui à l'évidence ne souhaitait pas dévoiler trop de détails.
⎯ Ils ont tous déclarés au dernier moment être malades au Local, ce qui est on ne peut plus suspect, confirma la Proxime des Artisans. C'est un manque de respect flagrant qu'on ne peut pas tolérer !
⎯ J'ai dit que je me chargeais de régler le problème, s'échauffa Friedrich. Inutile d'en parler à la Locale : je m'occupe des problèmes internes, et elle, des problèmes externes. Comme un discours ridicule devant le Provincial.
Eldola sentait que Friedrich ne voulait pas discuter ; mais si elle revenait bredouille de son expédition, exposée seule aux regards avides des Administrateurs, elle ne donnait pas cher de ses chances de survie. Bien que la situation soit en effet alarmante concernant les Proximes de la Localité, Friedrich devait la suivre pour faire bonne figure. Pour le convaincre de cela, Eldola devait frapper fort, ne pouvant risquer une dispute en public. Elle prit sa décision : elle s'approcha soudainement de lui, amenant sa bouche près de son oreille dans ce qui pouvait passer pour un léger baiser sensuel, tout en attrapant son gilet pour l'empêcher de se dérober ; elle déposa quelques mots dans l'oreille de Friedrich avant de se retirer aussi agilement :
⎯ Si vous refusez de venir pour le discours, je leur parlerai de votre petit manège nocturne.
L'effet fut saisissant : Friedrich la contempla avec stupeur et colère, mais d'un air distant, comme s'il était trop assommé par cette possibilité pour réagir proprement. Exactement ce dont Eldola avait besoin. Elle s'excusa auprès des Proximes, et tira son mari par la manche pour qu'il la suive docilement jusqu'au Provincial. Friedrich ne dit pas un mot de tout le trajet, mais son visage s'assombrit et ses muscles se crispèrent, comme s'il était en proie à un violent déchirement intérieur. Son air de dogue mal nourri doucha promptement l'enthousiasme des Administrateurs attroupés : même le Provincial semblait désormais plus réticent à manifester une attitude chaleureuse envers Eldola. Cette dernière fut ravie par l'effet produit, mais redoutait d'en abuser trop longtemps ; elle improvisa donc un discours simple et concis :
⎯ C'est pour moi un immense honneur que de me tenir devant vous aujourd'hui. Je suis née dans le Désert Gris, et c'est grâce à la bonté de l'Éclaireur que j'ai été recueillie par l'Institut et éduquée selon les coutumes du Technaume de Rai-Lo-Clair. Mon mari, le Local Friedrich Desfalaisiers, m'a offert une chance inouïe de servir mon nouveau pays d'une manière que je n'aurais jamais imaginée. Soyez assurée que j'ai hâte de recevoir vos précieux conseils et de rendre au Technaume toute la générosité dont il a fait preuve à mon égard.
Eldola avait débité à peu de choses près le discours classique des Pupilles, qui correspondait à ce que les Techno-citoyens souhaitaient entendre, et les sourires bienveillants de l'assistance attestaient qu'elle avait vu juste. Les Locaux Delacustrat et Desforestiers semblaient en particulier ravis, comme si son triomphe était aussi un peu le leur. On lui tendit une flûte en cristal remplie d'alcool pour porter un toast, mais à peine eut-elle le temps de tremper ses lèvres et de profiter de quelques applaudissements, que Friedrich partit en trombe et en bousculant quiconque osait se tenir sur sa route. Eldola s'excusa auprès de ses collègues et suivit son époux pour limiter les dégâts ; tout s'était finalement déroulé à la perfection, il était hors de question que Friedrich vienne tout gâcher...
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Sur la Falaise [en réécriture]
FantasiIl était une fois une belle étrangère qui épousa un prince dans une contrée à la technologie enchanteresse. Sauf que ceci n'est pas un conte de fée : Eldola est une Assassin au service du Technaume de Rai-Lo-Clair, contrainte à un mariage forcé pour...