Chapitre 18 : Excuses et Désert

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Le Soleil allait bientôt se lever, et toujours aucun signe de Friedrich ; Eldola se demanda si elle n'avait pas cogné son époux un peu trop fort... Le bon côté des choses, c'était qu'avec sa nuit blanche, elle avait presque fini de rattraper son travail de la journée ; le mauvais, c'est qu'elle n'était vraiment pas convaincue par l'histoire qu'elle s'apprêtait à raconter pour se justifier. Elle était toujours vêtue de sa chemise de nuit de rechange, celle de la veille gisant à moitié déchirée sur son lit. Elle espérait que cette tenue mettrait son époux quelque peu mal à l'aise ; vu la situation, tous les avantages étaient bons à prendre...

Peu avant l'aube, elle entendit enfin toquer timidement à sa porte. S'il avait s'agit de Betsy, la porte aurait déjà volé vers le mur avec tout le manoir informé du réveil de l'Administratrice ; il était donc plus probable qu'il s'agisse de Friedrich... Eldola inspira profondément, vérifia que sa tresse était bien en place et revêtit son masque émotionnel pour ne plus rien laisser deviner de ses sentiments.

⎯ Entrez ! lança-t-elle pour être entendue depuis l'autre côté de la porte.

Ce fut bien Friedrich qui franchit le seuil de son cabinet de travail. Eldola lui jeta une œillade rapide, avant de retourner se concentrer sur ses notes. Pour se faire passer pour innocente, il fallait d'abord qu'elle se comporte comme telle ; elle s'efforçait donc de faire comme s'il ne s'était rien passé d'important la nuit dernière. Dans ces conditions, son mari ne méritait pas particulièrement son attention ; elle avait juste eu le temps de noter que Friedrich avait préféré s'habiller contrairement à elle, sans doute pour se donner l'air plus imposant. Son attitude trahissait cependant un certain doute, comme s'il n'était pas sûr de la manière d'aborder la discussion. Eldola saisit immédiatement cette opportunité :

⎯ Je suppose que vous venez pour parler de ce qui s'est passé cette nuit. Allez-vous vous excuser pour vous être jeté sur moi comme un sauvage ?

Elle appuya ses paroles d'un regard accusateur. Eldola avait un doute sur le fait qu'un stratagème aussi simpliste fonctionne sur son mari, mais il fallait bien commencer quelque part. Friedrich détourna le regard, soudain fasciné par la couleur des murs, si on exceptait la tension visible dans ses mâchoires prêtes à grincer au moindre mouvement. Au moins il ne tremblait pas de dégoût à sa vue, pour une fois...

⎯ En effet, je vous dois des excuses..., finit-il par soupirer. Je ne vous ai pas reconnue dans l'obscurité. Quand bien même, rien ne justifie un tel comportement. Je suis sincèrement désolé et j'espère que vous n'avez pas été blessée.

Il appuya à son tour ses paroles avec un regard qui transperça Eldola de part en part. Il y avait tellement d'émotions qui tourbillonnaient dans ses iris pâles... Elle avait l'impression d'être transportée de nouveau dans la salle d'entraînement de la caserne de l'Échangeoir, à être témoin de ce que nul n'aurait dû voir. Il y avait de la haine braquée sur elle, mais pas envers elle ; cette colère était tout entière tournée vers l'intérieur, comme si Friedrich se sentait coupable... Eldola ne s'attendait pas à cela, si bien qu'en fin de compte, elle fut la plus déstabilisée des deux. Les yeux de son époux finirent par reprendre leur dureté naturelle, indiquant que la bataille était encore loin d'être gagnée :

⎯ Maintenant que ceci est établi, pouvez-vous m'expliquer ce que vous faisiez dans mes appartements au beau milieu de la nuit, alors que la porte de l'aile nord était fermée à clé et que je vous l'avais explicitement interdit ?

Eldola se ressaisit : si Friedrich voulait l'affronter, elle allait lui montrer à quel point ce terrain était le sien... Elle se prépara pour la suite de son plan :

⎯ Il se trouve que vos deux affirmations sont fausses, riposta Eldola. Tout d'abord, vous m'avez explicitement dit que je pouvais entrer dans vos appartements si jamais quelqu'un était mourant. Or la nuit dernière, j'ai entendu un bruit plus violent que d'habitude, puis plus rien. J'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose, alors je suis venue vérifier. Quand je suis arrivée devant la porte de l'aile nord, celle-ci était déjà ouverte, elle n'était pas fermée à clé. Ma peur en a été renforcée, et je suis entrée sur le qui-vive, guettant au cas où un voleur se serait introduit au manoir. J'ai certes réagi un peu rapidement quand j'ai perçu du mouvement, mais moi non plus je ne vous ai pas reconnu dans l'obscurité, et j'ai eu peur pour ma sécurité.

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant