Sur la Falaise [en réécriture]

Chapitre 7 : Chasseurs et Tailleurs (2/2)

Sans autre cérémonial, la Proxime se fondit dans les ombres de la forêt, les habitants sur ses traces. Friedrich continua de fixer l'orée de la forêt avec une intensité grave, comme si la force de son regard pouvait suffire à les faire revenir sur leurs pas.

⎯ Ça aurait pu être pire..., laissa échapper James dans un soupir de soulagement. Je vous avais pourtant dit de m'attendre avant de confronter les Chasseurs...

Alors que ces paroles auraient dû attirer l'attention de Friedrich, elles semblèrent au contraire le détourner de son Secrétaire pour se diriger vers son cheval.

⎯ Administrateur, continua patiemment James, où allez-vous maintenant ?

⎯ Chez les Agriculteurs, répondit distraitement Friedrich en détachant sa monture. J'ai promis de les aider pour la récolte.

⎯ Je vois..., soupira James. Et le fait que je vous déconseille fortement ce genre de conduite n'y changera rien, je suppose ?

⎯ Une promesse est une promesse, répliqua Friedrich sans appel.

⎯ Ne consentirez-vous donc pas à accompagner votre épouse jusqu'au prochain Village ? demanda James en désespoir de cause.

⎯ Pourquoi faire ?

⎯ Peut-être pour lui montrer votre soutien et appuyer son autorité ? insista James.

Friedrich cilla un instant ; Eldola vit passer tellement d'émotions dans ses yeux qu'elle ne parvint pas à en identifier la moitié. Une seule semblait certaine : un insondable mépris à son égard à elle.

⎯ Inutile, vous vous en sortez mieux sans moi.

Et le Local enfourcha son cheval avant de partir au galop sans ajouter le moindre commentaire. James se tourna vers elle, l'air désolé.

Le carrosse repartit au trot en direction du dernier Village, celui des Tailleurs. Eldola n'en pouvait plus de cette première journée interminable et enviait presque Friedrich qui pouvait aller où bon lui voulait ; le problème était que même si elle avait eu miraculeusement un cheval à sa disposition, elle ne savait absolument pas monter ces bêtes qu'elle préférait tenir le plus d'elle possible...

Alors que le Soleil se couchait et que le ciel s'embrasait, ils arrivèrent enfin dans le dernier Village. Eldola pensait avoir tout vu pour sa première journée d'Administratrice et qu'aucune situation ne pouvait plus la surprendre ; pourtant il restait bien une dernière option inexplorée. Sur la place principale du Village des Tailleurs, il y avait de solides bâtisses en pierre, quoiqu'un peu maussades et dépourvues d'ornement. Et aucun Tailleur. Personne. Personne n'avait pris la peine de les attendre pour la visite officielle. Ce fut avec un air contrit que le Cocher ouvrit la portière à un James excédé ; Eldola, elle, était ravie. James indiqua à Eldola de l'attendre ici tandis qu'il partait à la recherche des Proximes. Enfin seule ! Elle savoura la quiétude des lieux ; elle remarqua cependant des coups étouffés au loin. Elle s'éloigna jusqu'à arriver au bord de la falaise et se pencha au-dessus du précipice : quelle ne fut pas sa surprise de trouver les Tailleurs suspendus au-dessus des flots ! Solidement harnachés, ils se balançaient à flanc de falaise et découpaient des morceaux de roche à l'aide de burins, avant de les passer à d'autres habitants attendant dans des galeries. Eldola admira leur maîtrise acrobatique, d'autant plus qu'ils ne semblaient avoir aucune bioTech pour les assister.

⎯ Attention, reculez !

Eldola se retourna : un jeune adolescent criait et gesticulait en se dirigeant vers elle. Il était vêtu de vêtements trop amples et recouverts de poussière blanche, avec une casquette d'où dépassaient des cheveux blonds en bataille.

⎯ Ne vous approchez pas trop, vous allez tomber ! Ah... oh... euh... Je n'avais pas vu de loin que vous étiez... eh bin... quelqu'un d'important... 'Scusez-moi, je voulais juste vous aider..., s'empourpra le garçon. Vous êtes la nouvelle Locale, c'est ça ? Je dois faire une révérence, ou un truc du genre ?

⎯ Oui, je suis la nouvelle Locale, et non, c'est inutile ! Je vais bientôt repartir.

⎯ Vous êtes fâchée à cause des Proximes ? Nous, on voulait venir vous voir, mais ils ont dit qu'on avait pas le temps. C'est vrai qu'on est en retard sur la prochaine livraison, alors bon, faut pas trop nous en vouloir... Pardon, je sais pas trop comment je dois faire devant une Locale... Au fait, Mimi n'est pas avec vous ? Je me disais qu'on allait la voir aujourd'hui.

⎯ Mimi ?

⎯ Votre Secrétaire, c'est ma grande sœur ! Elle va bien ? Elle mange correctement ? Oh, et est-ce qu'elle porte ses lunettes ? Ça fera plaisir à Papa et Maman si elle porte ses lunettes.

Eldola se souvenait vaguement d'une jeune femme discrète avec les mêmes cheveux blonds en bataille lorsque Barnabé lui avait présenté les domestiques, mais elle ne l'avait pas revue depuis. Elle n'eut pas le temps de lui demander plus de détails, car James apparut fit détaler le jeune Tailleur. Eldola ne pouvait pas le lui reprocher : James ne respirait pas exactement le calme et la patience.

⎯ C'est à peine concevable une telle ingratitude... Nous allons devoir employer la manière forte à un moment ou un autre...

C'est ainsi que se conclut cette étrange première journée pour Eldola en tant qu'Administratrice. Elle n'avait pour l'instant créé aucun problème, ce qui lui donnait la fierté de pouvoir faire ravaler leur fiel aux Conseillers. Elle devait cependant avouer que cette Localité était moins paisible qu'elle ne s'y attendait : était-ce normal pour un Administrateur d'être aussi peu respecté par ses Proximes ? Qu'importe, ce n'était finalement pas son problème : tout ce qui comptait pour elle, c'était de rassurer suffisamment l'Institut pour qu'ils puissent lui donner sa prochaine mission...