Elle prit sur elle, et n'esquissa pas même un haussement de sourcil. Pour lui répondre, elle chercha une affirmation quelque peu positive en laquelle elle croyait vaguement :
⎯ Je n'avais vu une telle... asymétrie dans une demeure. De cette taille.
Ce qui était véridique. Au lieu d'être située au milieu du bâtiment central, la porte d'entrée était décalée sur la gauche. Cela produisait un déséquilibre presque avant-gardiste pour un manoir aussi ancien.
⎯ Intéressant que vous ayez remarqué ce détail... Il s'agit en effet d'une particularité unique du manoir Desfalaisiers, commandée par le Local Eldrich lors des derniers travaux de rénovation !
Le manoir semblait être le point faible de Barnabé : quand il en parlait, il ne pouvait s'empêcher de bomber le torse et de rayonner de fierté, comme un parent qui se vante de son enfant préféré.
⎯ Le Local Eldrich était un homme qui ne faisait pas dans la demi-mesure. Quand il décida de réaménager les anciennes écuries, il aurait pu en faire une serre ou un établi ennuyeux ; à la place, il décida de construire des logements pour les domestiques, ce qui dégagea le rez-de-chaussée de l'aile sud et lui permit d'aménager ceci !
Tandis qu'il parlait, ils avaient franchi les quelques marches qui permettaient d'accéder au vestibule, pour arriver devant une immense porte à double battant décorée de motifs animaliers. Eldola reconnut différentes espèces de papillons et de fleurs gravées dans la porte dont elle était cependant incapable de préciser le matériau : en fonction de l'angle selon lequel on le regardait, il produisait des iridescences sans cesse changeantes, tantôt bleues, tantôt vertes, avec des touches de rouge et de jaune surgissant au coin de l'œil, et toujours plongées dans des reflets nacrés ou métalliques. Puis Eldola comprit : ces iridescences étaient produites par des écailles d'ailes de papillons. Il s'agissait d'une bioTech de changement d'apparence très prisée ; cette porte à elle seule valait plus que tout le reste du manoir. Barnabé la poussa, et derrière, se dévoila une salle de bal splendide : le plafond était parcouru d'algues bioluminescentes incrustées dans du verre qui projetaient des reflets bleutés dans toute la pièce ; le sol et les murs étaient recouverts de cristaux légèrement transparents de diverses teintes, principalement dans des tons pastel rose, blanc et beige ; leurs multiples arêtes et facettes renvoyaient à l'infini des visions de la pièce déformée, comme dans un rêve minéral. N'importe quelle parcelle où les yeux se posaient imposait un respect étourdi.
Sauf pour Eldola. Elle avait du respect pour les artisans qui avaient dédié leur temps et leurs efforts à construire cette salle, mais elle avait du mal avec la futilité du projet ; car enfin, cette salle de bal ne servait ni à manger, ni à dormir et pas réellement à entraîner son corps ou son esprit. Le sol lui parut affreusement dangereux en cas de chute et la lumière bien trop faible pour y voir où on mettait les pieds. Son manque de réaction n'échappa pas à Barnabé. Ce dernier ferma les portes de la salle de bal en même temps que celles de son vieux cœur, déterminé à haïr cette méprisante étrangère qui avait moins de sensibilité qu'un morceau de carrelage.
La suite de la visite se déroula dans une atmosphère tendue où le respect n'était qu'une façade bien fragile. Au-delà de la salle de bal se trouvait le rez-de-chaussée de l'aile nord, découpé en trois salons : une bibliothèque, un salon de jeux et un fumoir, ce dernier était ostensiblement à l'abandon. Ils passèrent ensuite à l'aile sud, où se trouvaient la salle à manger et les cuisines du manoir. Eldola nota que, bien que la table recouverte d'une nappe blanche pût accueillir une douzaine de convives, elle n'était ornée que d'un couvert. Dans toutes les pièces à part la salle de bal, la présence de la bioTech était minimaliste : l'éclairage était assuré par des miroirs et lentilles amplifiant la lumière et des méduses bioluminescentes ; le chauffage provenait de fleurs de lotus disposées dans des bacs, complétés par des tapis noirs aux poils rêches pour emmagasiner la chaleur et la diffuser lentement à ceux qui marchent dessus.
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Sur la Falaise [en réécriture]
FantasyIl était une fois une belle étrangère qui épousa un prince dans une contrée à la technologie enchanteresse. Sauf que ceci n'est pas un conte de fée : Eldola est une Assassin au service du Technaume de Rai-Lo-Clair, contrainte à un mariage forcé pour...