Chapitre 15 : Doutes et écoutes (1/2)

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Comme Eldola aurait pu s'y attendre, Friedrich avait décampé de la réception provinciale dès que possible, et évidemment, sans l'en informer. Les autres Locaux ne parurent heureusement pas prendre cela comme une insulte, habitués aux sautes d'humeur de leur fantasque voisin. La jeune femme put ainsi savourer la tranquillité de son voyage de retour, et y puiser la force nécessaire pour affronter son mari ; elle était convaincue que Friedrich voudrait reprendre leur dispute là où il l'avait laissée, et elle n'avait désormais plus le Régional pour intercéder en sa faveur...

Quand la jeune femme atteignit la falaise, le soleil se couchait sur les flots, et l'heure du couvre-feu allait sonner. Eldola eut l'espoir que Friedrich soit déjà enfermé dans ses appartements ; au contraire, ce dernier attendait sur le palier, à l'affût. Elle décida que la meilleure défense passait par l'offensive, et l'interpella aussitôt :

⎯ Seriez-vous donc venu me demander comment s'est passé mon voyage ? Vous n'aviez pourtant pas l'air inquiet il y a quelques jours, quand vous m'avez laissée plantée au milieu de tous les Administrateurs de la Province...

⎯ Votre petit triomphe ne vous a donc pas suffi ? siffla Friedrich. J'étais persuadé que vous vouliez en profiter le plus longtemps possible... Concernant votre infâme chantage, que les choses soient bien claires : vous m'avez eu par surprise. Mais depuis, j'ai bien réfléchi : je ne jouerai pas à vos petits jeux de manipulation. Dites-leur tout à propos du couvre-feu, ce sera votre parole contre la mienne...

⎯ Friedrich, je ne tenais pas à faire du chantage, j'essayais de sauver les apparences !

⎯ Vous ne vous souciez donc jamais d'autre chose que de ce que pensent les autres ?!

⎯ Quand il y a dans la même pièce près de quatre-vingt Administrateurs en train de me juger, c'est difficile de faire autrement.

⎯ Et de quoi avez-vous peur, exactement ? De ne pas amasser assez de pouvoir ? De ne pas séduire assez d'hommes ? J'ai bien remarqué comment on vous regardait...

Friedrich disait ça comme si c'était elle qui avait cherché cette attention ! Mais qu'avait-elle donc fait pour qu'il ait une aussi médiocre vision d'elle ? Elle faisait ce qu'elle avait à faire, parce que c'était son devoir. Et il était temps que Friedrich se rappelle du sien.

⎯ Si vous voulez tout savoir, j'ai peur d'être traitée comme l'étrangère que je suis et que les gens se posent des questions à notre sujet. Si vous frissonnez de dégoût à chaque fois que je vous parle, comment les autres Administrateurs sont-ils censés croire que ce mariage est valide ?

⎯ Mais enfin, de quoi voulez-vous parler ?! Le contrat de mariage a été signé, personne n'exige que les mariés se manifestent la moindre affection. Aucun Administrateur ne le fait d'ailleurs...

⎯ Avez-vous au moins lu ce fameux contrat de mariage ?! Un mariage n'a de sens qu'avec un héritier. Et vous croyez qu'il va se concevoir tout seul ?!

Friedrich mit un certain temps à comprendre son allusion, puis il devint livide ; il n'avait jamais eu conscience de ce qui se jouait à cette réception. Rassurant pour Eldola... Au moins maintenant, elle l'avait mis en face du problème.

⎯ Non... non, vous interprétez le texte à votre guise..., se défendit Friedrich.

⎯ Malheureusement non. Croyez-moi, la dernière chose que je souhaite est de vous toucher, mais personne ne doit rien en savoir, car sinon le mariage serait tout simplement annulé.

⎯ C'est impossible... Barnabé ne m'a jamais parlé de ça...

Eldola fut surprise par la mention de l'Intendant, mais n'eut pas le temps d'interroger Friedrich plus avant ; ce dernier s'enfuit avec fracas se réfugier dans l'aile nord. Le remue-ménage de cette nuit-là surpassa de loin ce que l'Assassin avait connu jusqu'ici, et cela l'inquiéta : cette discussion aurait dû remettre son époux dans le droit chemin et le convaincre de l'aider ; malheureusement, elle avait l'intuition que ses ennuis ne faisaient que commencer...

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant