Chapitre 6 : Pupille (2/2)

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Après tout, il ne pouvait pas lui enseigner de nouvelles choses s'il ne connaissait pas son niveau. Eldola détestait révéler l'étendue de ses capacités à un inconnu, car ce qui l'avait sauvée depuis plusieurs mois maintenant, c'était que ses adversaires tendaient à la sous-estimer, lui donnant l'avantage de la surprise. Le test était sans doute pour voir aussi si elle arrivait à lui faire confiance. La réponse était évidemment non, Eldola ne faisait confiance à personne ; mais elle pouvait faire un compromis, juste cette fois-ci. Elle soupira intérieurement avant d'examiner la cible ; elle alla ensuite se placer à l'autre extrémité de la salle. Elle lança le poignard sans hésiter ; il se ficha en plein cœur du mannequin. Elle entendit un hoquet général d'effroi venant des gradins : apparemment, les Pupilles n'avaient pas l'habitude de telles performances en combat. Eldola s'étonna de leur ignorance : elle avait souvent dû jeter des projectiles adroitement pour distancer des poursuivants, ou pour récupérer discrètement de la nourriture. Edgar de son côté semblait satisfait, presque content, voire enthousiaste, mais Eldola ne comprenait vraiment pas pourquoi, étant donné qu'il pouvait certainement faire beaucoup mieux que ça.

⎯ Merci, Pupille Eldola. Évidemment, continua-t-il en se tournant vers les gradins, je n'attends pas de vous que vous reproduisiez une telle performance. En revanche, vous devez vous fixer ce niveau d'exigence pour objectif : ne vous contentez pas du minimum, car votre adversaire, lui, donnera tout ce qu'il a pour vous atteindre. Vous allez maintenant vous mettre deux par cibles, et vous entraîner avec ces fléchettes pour perfectionner votre geste.

Les Pupilles se mirent en place en grommelant tout en lançant des regards gênés à Eldola. Jusqu'ici, elle avait tout fait pour ne pas se faire remarquer : elle ne parlait à personne, mangeait toujours seule dans sa chambre, se tenait en retrait sans rien faire de particulier ; à part sa tenue et ses cheveux, elle avait fait en sorte de pas sortir du lot. Et Edgar venait de faire voler ses efforts en éclats... Elle espérait que ça en valait la peine ; attirer l'attention sur soi, c'est le meilleur moyen de devenir une bête traquée. Elle ne savait pas trop si elle devait se mettre en binôme ou non, quand Edgar s'approcha d'elle pour la prendre en aparté :

⎯ Merci pour cette démonstration, c'était parfait. Comme tu as pu le remarquer, les autres Pupilles sont loin d'avoir ton niveau en combat...

⎯ ..., attendit Eldola.

⎯ Mais rassure-toi, le contenu de ce cours n'est qu'une petite portion de ce que je peux t'apprendre. Ce que je te propose, c'est que tu m'assistes lors du cours : passe dans les rangs, corrige leur posture, et plus tôt nous aurons fini, plus tôt on pourra se garder du temps pour travailler les choses sérieuses. Qu'est-ce que tu en dis ?

Eldola n'avait pas besoin de répondre : évidemment qu'elle allait jouer le jeu, elle était venue pour ça, elle n'allait pas abandonner maintenant. Elle se détourna et s'approcha du premier binôme de Pupilles : il était constitué de deux élèves plus jeunes qu'elle de plusieurs années, des fillettes qui avaient à peine quitté l'enfance. Eldola avait remarqué que malgré sa récente admission, elle était l'une des Pupilles les plus âgées : le recrutement débutait dès l'enfance, et elle avait compris qu'à seize ans, les Pupilles étaient affectées à leur première mission. Raison de plus pour elle de ne pas traîner trop longtemps dans les parages... Les deux fillettes tremblèrent à sa vue, alors qu'Eldola n'avait encore rien fait. Elle remarqua simplement que toutes leurs fléchettes gisaient par terre, au lieu d'être fichées dans la cible.

⎯ Euh, qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'il y a ? osa l'une des fillettes en bégayant.

⎯ Il paraît que je dois vous aider, répondit laconiquement Eldola.

⎯ Oh, c'est génial, parce que toi, tu es vraiment trop forte ! s'exclama l'autre fillette.

⎯ Vous attendez quoi pour tirer vos fléchettes ?! s'impatienta Eldola. J'ai pas toute la journée...

Les deux fillettes s'empressèrent d'aller ramasser leurs fléchettes et de tenter à nouveau d'atteindre la cible. Enfin, c'est ce que supposait Eldola : à les regarder, on pourrait croire qu'elles cherchaient surtout à éborgner les autres Pupilles ou à attaquer le sol de la pièce... Eldola ne savait même pas par où commencer : elles manquaient de tout, donc de concentration, d'équilibre, de souplesse, de détente, d'instinct, de réflexes... Elle ne voyait pas comment en tirer quelque chose d'acceptable, et plaignit presque Edgar de travailler régulièrement avec de telles ignorantes.

⎯ Euh... je sais qu'on n'est pas très bonnes, mais... tu... tu aurais des conseils pour nous, s'il te plaît ? demanda la fillette.

⎯ Commencez par regarder la cible..., soupira Eldola, incapable de trouver quoi leur dire. Enfin je sais pas, c'est pas compliqué, vous visez et vous tirez, y a vraiment rien à comprendre !

⎯ Oh, qu'entends-je ? s'immisça une voix mystérieuse et suave. On ne t'a pas informée que les réparties cinglantes me sont réservées ? Dégagez les morveuses, les adultes doivent discuter de choses sérieuses.

Les pauvres fillettes étaient au bord des larmes, sans qu'Eldola ne comprenne pourquoi ; elle avait juste été honnête avec elles, c'est tout, elle n'avait rien dit de blessant. Elles détalèrent sans demander leur reste, ravies de trouver un prétexte pour fuir. Eldola se demanda quel genre d'individu pouvait leur faire aussi peur, et leva les yeux pour découvrir la plus belle jeune fille qu'elle ait jamais vue. Elle devait avoir à peu près son âge, mais ne lui ressemblait en rien : ses cheveux noirs, longs et bouclés, encadraient un visage doux où luisaient deux yeux noirs ensorcelants par leur magnétisme ; mais ce qui frappait le plus chez elle, c'était son corps, féminin à outrance, avec une poitrine si gonflée qu'elle tenait à peine dans sa robe, dévoilant plus de chair que ce qu'il était convenable sans pour autant pouvoir faire autrement, menaçant de faire craquer le tissu à chacune de ses inspirations. Sa robe soulignait sa taille fine, puis s'évasait à nouveau autour de hanches larges et ondulantes à chacun de ses pas. Tout en elle criait la féminité, sans pour autant la nuance de douceur qui aurait dû l'accompagner. Au contraire, il y avait quelque chose de trop résolu dans sa manière de se tenir, de trop sournois dans sa manière de se déplacer, de trop attirant dans sa manière d'exister ; Eldola n'avait pas besoin de l'aura de terreur dégagée par les autres Pupilles aux alentours pour se rendre compte que cette jeune femme était dangereuse. Mortellement dangereuse.

⎯ Je ne crois pas que nous ayons été présentées. Tu es Eldola, c'est bien ça ? Moi, c'est Xianthi. Ravie de faire ta connaissance. 

Sur la Falaise [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant