Cecidit Angelus

Chapitre X

    —    Je ne tiens plus en place ! S'écrie Isaac. Et dire que je vais enfin quitter cette prison... Après tant de siècles...

—    Eh oui mon frère, c'est la fin, c'est ta libération, enfin !

Je m'excuse intérieurement de ne pas partager autant leur enthousiasme. Mais je comprends que ça compte pour Isaac, et même pour Alaric, c'est logique. Ils vont enfin pouvoir se retrouver, et c'est beau. Je ne peux pas tout gâcher avec mes sentiments.

Du reste de la journée, Isaac et Alaric la passe à se remémorer des souvenirs d'enfance, des souvenirs de leurs vies d'humain. J'en viens à me demander si chaque être surnaturel a été humain avant, comme une sorte de case départ obligatoire ? Je suppose que oui à l'issue de la conversation.
    Au moins, la journée aura été riche en rire. Entendre toutes les anecdotes de la vie d'enfant espiègle d'Isaac aura valu le détour, et aura mis un peu de baume sur mon cœur pour qu'il soit un peu plus en paix à la fin de tout ça. J'appréhende pourtant et de plus en plus le moment fatidique, au fil des heures qui passent et du jour qui décline. Alaric m'a expliqué que le procès aura lieu ce soir, à minuit. Trois anges et un « archange » seront présents pour prononcer la libération d'Isaac, ou bien un prolongement de peine, ce qui serait très peu probable, voire n'aurait aucune chance d'arriver selon lui. Quand on sait qu'Isaac a passé presque un millénaire là-dedans, je le crois tout à fait. Quoi qu'il ai fait, je suis sûr qu'il a largement purgé ce qu'il était nécessaire.

—    Je vous laisse juste un petit instant, dit alors Isaac en se relevant.

Je m'apprête à me lever pour le rejoindre, ne voulant pas qu'un malaise s'installe si je reste seule avec son frère. Mais Alaric pose alors doucement sa main sur mon bras pour m'empêcher de me relever, tandis qu'Isaac s'éloigne.

—    Laissez-le seul un instant. Il a passé huit siècles dans cette prison. C'est étrange et assez compliqué à expliquer, mais... Il a besoin de lui dire au revoir aussi.

—    Je comprends, acquiesçais-je. C'est normal.

—    Ça fait longtemps que vous lui tenez compagnie ?

—    Quelques jours, pas plus. L'un comme l'autre, ça faisait un moment que l'on n'avait pas vraiment discuté avec quelqu'un. Je suppose qu'on a voulu profiter de ça jusqu'à la dernière minute.

—    Je vois. Répond-t-il juste. J'ai une autre question, mais elle est assez intrusive, alors n'hésitez pas à m'envoyer balader si jamais.

—    Je vous écoute, riais-je.

—    Quelle genre de relation entretenez-vous ? Je crois avoir deviné que ce n'était pas de l'amitié, je suis pas idiot, mais... Je sais que le spectre des relations à l'époque actuelle est assez... varié, disons.

—    C'est le mot, haha ! Malheureusement, je ne saurais pas vous donner un terme. Je sais simplement qu'Isaac et moi vivrons ce que nous avons à vivre jusqu'à la fin. Après son départ, il ira de son côté, et j'irai du mien. Nous en avons discuté tous les deux, et nous sommes arrivés à la conclusion que c'était la meilleure des solutions.

Alaric ne répond pas tout de suite, il se contente seulement de sourire. Je n'essaie pas de déchiffrer ce qu'il peut penser, c'est sans doute mieux que je le ne sache pas.

—    Je comprends, reprit-il. Et je suis du même avis. Si je puis confirmer les dires de mon frère auprès de vous, je suis certain qu'il vous a sorti la carte de l'humain et de l'être surnaturel qui ne peuvent vivre ensemble. Et il a raison. Beaucoup ont essayé. Je n'en connais pas qui aient réussi. Et par là, je veux dire : réussi à être heureux. L'être surnaturel ne trouve que rarement sa place dans la société... Un travail, des factures, des charges... Ce n'est pas ce que nous connaissons. Il n'y a pas tout cela là où nous vivons. L'être humain est étrange en ce qu'il paye pour vivre. Il n'y a que lui qui est capable d'une telle plaisanterie. Il faut savoir s'adapter à un mode de vie pareil, ça relève d'un véritable choix motivé. Et malheureusement, mon frère n'a jamais vraiment aimé vivre dans le monde des humains. Et les humains ne peuvent vivre dans notre habitat. Il existe des tas d'autres raisons, je ne vais pas tout vous énumérer...