Cecidit Angelus

XXXVIII

Mana

          M'y voilà. J'y suis. Devant moi font face deux gigantesques portes aux reliefs d'ébène et d'émeraude. Je les contemple, me demandant bien comment j'aurais la force de pousser ces tonnes... un truc d'être surnaturel, j'imagine ?
          Je soupire, et baisse la tête vers mes pieds. L'émotion me pique à nouveau le nez, mais je renifle et ravale mes larmes jusqu'au plus profond de moi-même. Ça suffit. Je me suis confiée à Lina, à Alaric, ça n'a servit à rien. J'ai pleuré dans les bras... d'Amaymon, et encore maintenant je me demande bien comment cette scène a pu se produire... mais ça n'a rien arrangé non plus. J'ai assez pleuré. J'ai été assez faible, surtout devant les autres.
          Durant dix ans, sur Terre, j'ai su retenir mes larmes, chaque soir, contre le harcèlement au lycée, contre mon dégoût de moi-même avec ce fichu don de télékinésie. Depuis que je suis ici, je suis une vraie fontaine, il est donc temps que ça cesse. C'était le déclic dont j'avais besoin, je suppose... Je ne pourrais pas m'en vouloir d'avoir essayé ; et j'aimerais dire que je pars sans regret, mais...
          Le visage d'Isaac passe dans mon esprit, et je ressens soudain une haine envers moi-même de ne pas avoir su faire l'unanimité auprès de son cœur... J'ai beau savoir que ce n'est pas vraiment de ma faute... j'aurais tant voulu que le meilleur des scénarios devienne réalité... Résultat des comptes : c'est plutôt l'un des pires... Peut-être que... peut-être que c'est juste mieux ainsi. Rien ne me retient plus ici, de toute manière.

—    Mana !... Résonne mon nom au loin.

Je me retourne, pas certaine d'avoir bien entendu. Est-ce que j'ai rêvé ? Je crois avoir entendu mon nom, mais il ne s'étend devant moi que la pénombre de la grotte, les torches verdâtres n'éclairant aucun mouvement ; si ce n'est celui des relans blanchâtres du Nyx.
          Convaincue d'avoir imaginé ce que je viens d'entendre, je souris, et me retourne vers les portes de la Géhenne... Je désire tant rester ici en réalité que mon cerveau invente des illusions... Je suis vraiment un cas désespéré.

—    Mana ! S'écrie alors la voix d'Alaric de manière très distinctive.

—    Alaric ? Demandai-je en me retournant à nouveau, cette fois tout à fait sûre que mon imagination ne me joue pas des tours.

Je plisse les yeux afin d'essayer de mieux voir au loin, et découvre le frère d'Isaac volant vers moi. Il se pose juste en face, et rabat instantanément ses ailes. Un jour, peut-être que moi aussi, j'aurais cette facilité... ?

—    Satan soit loué, te voilà... soupire-t-il. J'ai eu peur de te manquer !

—    Qu'est-ce que tu fais là ? Demandai-je, perplexe.

—    Toi, que fais-tu ici ? N'avions-nous pas convenu que tu irais parler à Isaac de votre différend ?

Je pouffe de rire, moqueuse. Les bribes de la conversation qu'ils ont eu ensemble me reviennent en tête, et j'aimerais lui demander s'il se fiche de moi. Seulement, Alaric a été si gentil avec moi depuis notre rencontre, que je ne m'accorde pas une telle méchanceté. Je ne dois pas oublier que si je suis en vie, c'est tout de même grâce à lui. Et ceci par deux fois, en vérité : il m'a transformé en démon pour me sauver et me permettre de rester aux côtés d'Isaac, et a accepté de donner mon âme à Amaymon afin que celui-ci me sauve, alors qu'il était lui-même mal en point.
          Je ne dis donc rien du tout sur le moment, avant de trouver quelque chose de plus neutre à dire :

—    Je me suis dis qu'il valait mieux... Keith et Lilith sont partis depuis presque un mois, changeai-je de sujet finalement. Au début, ils m'avaient dit qu'ils ne partiraient que deux ou trois semaines maximum. J'ai voulu aller voir si tout se passait bien là-bas, et tu sais, respirer un peu l'air familier de la surface...