Cecidit Angelus

XXIX

— Manaaaaaa ! Ohhhh Manaaaa ! Retentit la voix de Lilith.

Je me lève d'un coup, en inspirant de terreur. Aussitôt, une douleur lancinante me prend dans le cou, résonnant le long de mon omoplate jusqu'à ma main gauche.
Je tique, surprise... Quelle position j'ai bien pu prendre dans mon sommeil pour ressentir une telle douleur ? J'ai dû me froisser un muscle...

— Mana Dowsen, démon supérieur dernier du nom est demandé à l'accueil !

Je pouffe de rire, ah, Lilith... Mais une minute. Si elle m'appelle, ce n'est pas pour rien ! C'est aujourd'hui, la cérémonie ! Je dois être en retard !
J'enfile le plus rapidement possible la seule robe noire de ma garde-robe refait entièrement à neuf par les soins consciencieux de Lilith.
Au moment où je relève ma fermeture éclair, j'entends toquer doucement contre ma porte, et je reconnais vite cette manière délicate de faire.

— Oui ! Autorisai-je.

— Tout va bien, ma petite Mana ? Me demande Keith avec un sourire sincère, en passant le bout du nez par la porte.

— Oui ! Désolé, je suis prête. J'arrive, souriai-je.

Il me rend mon sourire, et s'écarte poliment pour me laisser passer.

— Hop, hop, rit-il, une minute. Tu t'es coincé une mèche de cheveux dans le zip de la fermeture.

— Oh, mince, riai-je aussi tandis qu'il me délivre.

— Voilà, c'est bon. Allez, descendons vite, ne faisons pas attendre la plus belle femme du monde plus longtemps, sinon je ne donne pas cher de nous !

Il me précipite vers les marches, et je lui donne raison en les descendant rapidement. J'aime beaucoup Keith. Et je trouve qu'il est fait pour Lilith, et Lilith réciproquement tellement faite pour lui. Ces deux-là, ils se sont bien trouvés, n'importe qui le dirait. Comme le noir avec le blanc, comme les étoiles et la lune, ils forment le plus beau couple que je n'ai jamais vu. Fusionnels, passionnels, je crois sans nul doute que chaque femme mérite d'être regardée comme Keith regarde Lilith. Et je ne souhaiterai jamais mieux pour elle qu'un homme qui lui corresponde à ce point. Empli de bonté, doux comme un agneau, sa voix ne s'élève jamais, et il a toujours un sourire à vous gratifier. Doté des conseils les plus sages, il pourrait vous écouter vous plaindre des heures durant sans jamais vous couper, ni vous donner l'impression de l'ennuyer. Il m'a moi-même beaucoup écouté déblatérer au sujet d'Isaac, et de tous ces rituels de transformation et de transmutation par lesquels je suis passée. Sa manière de voir les choses avec simplicité et optimisme m'a aidé à accepter en grande partie ce que je suis devenue. Notamment par cette fameuse phrase : « Tu es ce que tu es, et tu ne peux rien y changer, alors pourquoi ne pas t'aimer ? ». Et il avait entièrement raison.
Alors tout le temps que j'ai passé à me tourmenter, je l'ai converti à me regarder dans le miroir pour apprendre à apprécier ce que je voyais. Et il faut dire que cela m'a donné un degré de confiance jamais atteint.
L'enfer me change en quelque chose que j'apprécie, quoi que j'en dise, et ça, c'est Lilith et Keith qui m'ont aidé à le remarquer.
Nous sortons de la maison en direction du palais, sur les râles de Lilith, effrayée que l'on soit en retard. Elle maudit les autres démons pouvant voler, alors que les succubes et incubes en sont incapables, n'étant pas dotés d'ailes. Je ne dis rien mais personnellement, ça me va très bien... Je n'ai même pas daigné sortir les miennes une seule fois.
Une fois à l'intérieur du palais, nous suivons le flux de démons passer de grandes portes entre les deux grands escaliers encerclant le hall. De longues marches dans un corridor sombre descendent jusqu'à ce qui semble être un gigantesque amphithéâtre, sous le château. En forme de coupelle, il est ouvert sur les côtés, laissant découvrir les parois de magma du cratère d'où le palais siège, au centre. La plupart des places sont déjà prises.
Nous remarquons alors Isaac, Alaric et Lina, nous faire signe non loin d'ici ; et les rejoignons donc. Il est temps que nous nous asseyons, j'ai ressenti chaque marche faire échos à mes douleurs musculaires...