Isaac
Le gong de l'horloge sonne le vingt-quatrième jour de cette absence cruelle de contact avec elle. Chaque tintement résonne avec une douleur croissante, à la prochaine je pourrais bien céder à l'envie de fracasser la vitrine de cette maudite horloge.
Je referme mon livre d'un geste brusque, puis le repose avec délicatesse sur la table, tentant ainsi de calmer la tempête qui gronde en moi. Ou bien ma tristesse... peut-être les deux. Je ne sais plus. Je n'arrive simplement plus à lire une seule ligne, elles se dérobent sous mes yeux.
Je fixe les aiguilles qui tracent le passage des minutes, dans le silence, ruminant ma frustration. Ne désire-t-elle pas à ce point arranger les choses ? L'ai-je déçu si fort ? Pourquoi connaître tous les tenants de ma vie est-il si important pour elle... ? Cela ne fait que nous éloigner davantage, la preuve en est ces trois semaines de vide. Ce qu'elle est obstinée !
Je m'en vais chercher un verre d'eau, mais la seule gorgée que j'avale m'emplit de dégoût. Je n'éprouve ni faim, ni soif, ni désir pour quoi que ce soit. Si ce n'est elle.
Je passe mes mains sur mon visage, ébouriffant une barbe naissante. Par le ciel, je me laisse vraiment aller... Il faut que je sorte. Il faut que je la vois.
Je revêts une autre chemise à la hâte et sors de chez moi, le pas rapide. Comme à l'accoutumée, pour la énième fois depuis notre querelle, je déploie mes ailes jusque sur le toit de la maison située en face de celle de Lilith et Keith, donnant directement vue sur la chambre de Mana. Elle est là, allongée sur le ventre sur son lit, battant des pieds d'excitation devant sa lecture. Je crois même qu'elle crie dans son oreiller, et je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire à cette adorable scène.
Je m'étais pourtant solennellement juré de cesser cette conduite. Je ne puis indéfiniment me permettre de venir l'épier avec indécence... Mais les dix premiers jours notre dispute, où je me suis rendu plusieurs fois à sa porte pour y toquer dans l'espoir d'une explication, je me suis finalement résigné à chaque fois... L'observer de loin est le seul compromis que j'ai trouvé pour apaiser mon cœur...
Les deux semaines suivantes, je me suis contenté de cette distance. Chaque fois que son absence devenait insupportable, j'allais me percher sur ce toit m'assurer qu'elle se porte bien. Et presque à chaque fois, je la voyais plus absorbée encore dans ses curieux ouvrages... aussi ravissante que le premier jour.
Je la contemple encore un instant... Cela me convient ainsi. Oui, cela me convient... Elle ne doit pas savoir ce que je cache, je ne peux pas le lui révéler... Je préfère qu'elle garde l'image qu'elle a de moi, loin de moi. Je dois me résoudre au fait qu'elle ne puisse m'accepter avec mes secrets. Je lui en veux peut-être un peu... mais je comprends. Je comprends combien il peut être ardu d'aimer dont on ignore toutes les facettes... je sais ce que c'est. Si elle n'est pas revenue depuis... j'imagine que c'est parce qu'elle souhaite m'oublier, étouffer ses sentiments avant qu'il ne soit trop tard.
Qu'avai-je lu dans un livre à ce sujet... ah, oui... « Lorsque l'on se trompe de train, il vaut mieux descendre à la première gare, car plus le voyage sera long, plus le retour sera cher »...
Mana a choisi de descendre à la première gare. À moi désormais de ne pas la retenir, comme je me l'étais promis... Même si ce choix me ronge profondément, qu'il m'arrache le cœur de la poitrine comme le plus dur que je n'aie jamais fait...
Je redescends du toit d'un battement d'ailes, et regagne mon domicile... Là, je m'affale sur ma chaise, tentant de contenir mes larmes... mais en vain... Je ne veux pas la laisser partir, je ne désire en aucune façon la voir dans les bras d'un autre... Elle m'appartient, elle est ma bien-aimée, la seule qui m'ait apporté un véritable bonheur depuis Lucile... La voir et la savoir heureuse sans moi est une torture... Je devrais être l'unique source de ses rires et sourires, le seul détenteur de son bonheur... Mais je sais que c'est le meilleur choix. Pour elle, pour moi... Je ne suis qu'un lâche, mais c'est mieux ainsi. J'en suis convaincu.
Je renverse la tête en arrière, le pouce et le majeur posés sur mes paupières fermées, comme pour enfoncer ma peine au plus profond de moi. Je tente alors de me replonger dans ma lecture, mais à peine quelques minutes s'écoulent avant que quelqu'un ne toque à ma porte.
Je m'y précipite comme si cela relevait d'une urgence vitale, et Alaric pousse la porte juste au moment où je tendais la main vers la poignée. Il me regarde, troublé, et moi, je suis presque déçu de le voir.

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Cecidit Angelus
ParanormaleDotée de télékinésie, Mana est persécutée des autres. Après un énième incident, le rejet qu'elle subi et la peur de blesser ses proches la mène à fuir. Le surnaturel la rattrape cependant, lorsqu'elle fait la rencontre d'Isaac, un ange déchu aux sec...