Chapitre XXIV

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Dans le hall du palais, nombre de démons de tout genre sortent et entrent librement en rejoignant les deux salles de droite et de gauche. Quelques démons encore alités semblent se reposer, ce que je devine être leurs proches à leurs côtés. D'autres rangent leur couchage, les remettent à des gardes qui les plient et les réunissent dans un coin de la pièce. Des démons encore faibles quittent le palais au bras de leur famille et amis, encore faibles.
     Même si j'ai été totalement mise à l'écart pendant une semaine, je devine que c'est la fin de cet arc douloureux pour les Enfers. J'en suis certaine quand je vois Isaac et Lilith sourire à la vue de leurs congénères guéris, rejoindre leurs chez-eux.

—    Je suis rassurée, dit Lilith. Même si beaucoup nous ont quittés... je suis contente de voir que c'est finis.

Isaac pose une main réconfortante sur l'épaule de son amie.

—    Tu as brillé toi aussi pendant ce dur moment, Isaac, dit-elle. Beaucoup de démons te remercient.

—    J'aurais aimé en sauver davantage, affirme-t-il.

—    Tu as fais ce que tu as pu... Nous avons tous fais ce que nous avons pu. Tu aurais dû le voir, ricane Lilith en se tournant vers moi, une vraie petite infirmière ! Il déteste Amaymon, mais au final, il l'a bien aidé en organisant les empoisonnés par degré de gravité !

Isaac soupire en levant presque les yeux au ciel, et l'imaginer comme le héros qu'il semble avoir été balaie toutes mes appréhensions, sur le moment. Bon sang, ce que je ressens pour cet homme est dangereux... Si je n'étais pas un tant soit peu méfiante, je crois bien que je ne serais face à lui qu'une pauvre chose naïve et insensée. Je lutte pour ne pas mettre sur le côté et ignorer tous les signaux d'alerte que je reçois de mon subconscient à son sujet. Mais j'y parviens à peine. Je le regarde, et tout ce que je ressens, là, c'est que j'accepterais d'être la plus bête des filles si cela signifie qu'il continue de poser ses yeux sur moi, ses mains sur ma peau, ses lèvres sur les miennes. J'en ai presque l'envie, je pourrais payer le prix, oh oui, face à ce visage d'ange... je sens bien que j'accepterais d'être stupide et d'ignorer mon intuition, et ça me fait peur, pour être honnête. Il me cache des choses, je le sais et je déteste ça, et pourtant je sens que je pourrais dire amen à toutes ses demandes. Si c'est ça, le premier amour... c'est vraiment la plus étrange et stupide, mais merveilleuse des sensations...

—    Nous devrions passer voir Sofìa, souriai-je. Comment va-t-elle, a-t-elle été victime du poison ?

Je vois les expressions de leurs deux visages se fermer instantanément, et je comprends aussitôt. Bon sang... Je serre les poings, à m'en planter les ongles dans les paumes. Les lèvres tremblantes, je ne sais si je me sens plus idiote ou choquée. Malgré toute mon innocence, comment n'ai-je pas pu imaginer aussitôt le risque qu'elle compte parmi les démons qui ont périt... ? Comment ai-je pu balancer une question pareille sans réfléchir ?
Je passe mes mains sur mon visage, je me cache presque, honteuse... Dans un court-métrage qui semble aussi long que notre amitié, c'est-à-dire très court... mon cerveau ressasse tous mes souvenirs avec cette fille. De la première fois que je l'ai vue, dans cette fichue « agence d'adresses » qui n'avait aucun sens pour moi, à son rire franc et contagieux dans une voix cassée adorable, qui vous donne envie de rire avec, même s'il n'existe aucune raison de le faire... Je me souviens la rejoindre, dans la salle du palais où le Prince a fait son annonce, où j'ai pu retrouver Isaac... Mes premiers verres d'alcool à ses côtés, avec Lilith... Notre nuit de beuverie au champagne, ses rires excessifs aux anecdotes de Lilith, ses positions étranges en dormant... Je me rend compte à cet instant comme c'est fou, qu'aussi peu de temps avec une personne vous laisse malgré tout tant de souvenirs, comme un être recouvre tant de petits détails que vous pensez n'avoir pas remarqué sur le moment, mais qui vous abandonnent, amer, lorsque vous comprenez que cette personne est partie. Qu'elle n'existe plus. Que vous ne la reverrez jamais. Et j'essaie de me souvenir de la dernière discussion que j'ai eu avec elle, je me souviens des derniers mots qu'elle m'a accordés, et je ressens alors un vide profond. Le vide qu'une des premières personnes que j'ai pu considérer comme une « amie », peut laisser dans un cœur solitaire.

Cecidit AngelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant