XL

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          Au seuil du petit, voire minuscule village d'Ottinsburgh, je suis Mana qui s'arrête devant une petite échoppe de tissus, habits et divers bijoux. L'index posé sur ses jolies lèvres, elle semble en pleine et sérieuse réflexion.

—    Quelque chose te plaît ? demandai-je.

—    Oui et non, je me disais juste que... les anges ennemis ne connaissent pas nos visages, si ? Tant que nous ne déployons pas nos ailes, comment pourraient-ils savoir que nous sommes des êtres surnaturels ? Et donc, moi, avec une simple robe blanche d'été, je me fond sans problème dans la masse, mais toi...

Elle me dévisage de la tête aux pieds, et je l'imite en regardant mes vêtements.

—    Qu'ont-ils, mes affublements ? Ils ne conviennent pas en Australie ?

—    Eh bien, pas vraiment... Tu ressembles à un noble, ou à un pirate sans son blouson ni son chapeau, rit-elle doucement.

La mélodie de son rire rythme les battements de mon cœur, et fanatique de cette musique, elle m'insuffle l'entrain nécessaire pour m'engager avec séduction dans son jeu.
          Oui, à nouveau, je désire la séduire, je brûle d'un désir enjôleur. Comme elle l'a si bien dit. Mais cette fois-ci, je suis résolu à écarter véritablement ces craintes qui hantent mes jours et mes nuits. Je suppose que c'est l'effet qu'Alaric escomptait, et bien que je me sois d'abord rebellé contre ses paroles, il a su trouver les mots pour me toucher. Et cette fois, contrairement à il y a huit cents ans, j'ai écouté. J'ai réfléchi. Et j'admets donc qu'il a raison. J'admets que je suis celui qui avait tord.
          À l'époque, c'est mon incapacité à entendre ses avertissements qui l'a poussé à orchestrer le coup d'état de Daugherty. Par ma faute... C'est pourquoi je porte, avec lui, le sang de toutes ces personnes sur mes mains. Si seulement j'avais su prêté attention à ce qu'il me disait, rien de tout cela ne se serait produit.
          Cependant, je ne peux nier que grâce à cet événement, Alaric est devenu un démon plus que puissant, ce qui lui a permis de survivre à l'empoisonnement qu'il a subi. Je suppose donc que dans toute mauvaise chose se trouve quelque part un bien, et inversement...
          Pour ma part, je n'aspire qu'à cela : offrir ma confiance et mon cœur à Mana. Je suis conscient que ce choix apportera à la fois des joues et des souffrances, mais mon frère a raison : je mérite ce bonheur. Bien que je doute de la mériter elle, je mérite ce bonheur à ses côtés.
          J'ai été injustement puni une fois devenu une créature surnaturelle, et j'ai passé huit siècles enfermé tel un animal... alors oui, je veux croire que je mérite ce bonheur avec elle. Ainsi, même si l'aimer implique une certaine souffrance... je refuse désormais de laisser le négatif éclipser le positif. Je suis prêt à prendre ce risque. Lucile n'aura plus d'emprise sur moi. Et Mana n'est en rien comparable à Lucile. C'est elle que je choisis. C'est son chemin que je veux suivre, non plus celui de la facilité.
Je m'approche d'elle, saisissant son menton délicatement entre mes doigts. Mana plonge alors ses pupilles dans les miennes, surprise.

—    Et alors, dois-je plutôt secourir la princesse, ou capturer la sirène... ? Proposai-je d'un sourire lubrique, tandis que ses joues virent au rose.

—    Isaac, marmonne-t-elle gênée en détournant le regard sur le côté, nous sommes en pleine rue passante, et je te le rappelle, chuchote-t-elle alors, en pleine mission car nos amis ont été capturés. Séduis-moi plus tard, en attendant... il faut te trouver des vêtements qui passent plus inaperçus. Cette camisole blanche et ce pantalon en toile marron clair seraient parfaits, mais nous n'avons aucun argent...

—    Comment, tu as déjà oublié nos formidables capacités, à nous êtres surnaturels ? Souriai-je.

Je me tourne vers la vieille commerçante derrière la table en bois de l'échoppe, ridée et ronde comme une pomme. Je la regarde alors droit dans les yeux, activant mon pouvoir de persuasion :

Cecidit AngelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant