Chapitre XXII

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Je rouvre doucement les yeux, un sourire aux lèvres. Cette femme est extraordinaire. Il n'est guère surprenant qu'elle exerce sur moi une telle fascination. Comment ne pas fondre devant cette force empreinte de tant de douceur ? Je tiendrai ma promesse avec bonheur : je ne lâcherai pas sa main, je ne la laisserai pas renoncer. Elle vivra, et reviendra vers moi. Qu'importe les conséquences.

—    Elle est d'accord, affirmai-je.

—    Enfin, répond Amaymon, finissons-en.

Le démon aux yeux verts enflamme le cercle de sang, Mana allongé au centre. Créature de l'Enfer, le feu ne nous brûle point, je garde donc sa main fermement dans la mienne, comme promis.

—    Quitte à me répéter, je te préviens, elle va souffrir, se tourne-t-il vers Satan. Ce rituel va faire d'elle un démon invulnérable au poison et à la maladie. Il va transformer son sang en poison, afin qu'il ne lui fasse plus aucun effet. Comme moi, la maladie et le poison deviendront les caractéristiques de sa propre consistance. Son corps va devoir passer par tous les stades de chaque maladie et subir les effets de chaque poison existants pour y devenir invulnérable. Et ce en l'espace de quelques minutes. Tu es bien certain qu'elle a la force mentale de subir cela ? S'adresse-t-il à moi.

Et soudain, je n'en suis plus si certain. Je comprends mieux désormais ce qu'il voulait dire en affirmant que sa survie dépendrait d'elle. Mon esprit repasse en revue toutes les maladies et poisons connus à mon époque, connaissances remontant au treizième siècle. Je n'ose imaginer tout ce qui a pu émerger au cours de ces huit siècles. Cependant, les paroles de Mana me reviennent en mémoire... Elle me fait confiance. Et je lui ai fais une promesse. Je la tiendrai. Cette fois, c'est à moi d'avoir une confiance aveugle en elle.

—    Fais-le, lui ordonnai-je. Elle résistera.

Amaymon pouffe d'agacement. Je suis prêt à parier qu'il n'y croit guère, il préférerait d'ailleurs peut-être cela. Mais cela n'arrivera pas.
Le démon prend alors une grande inspiration, et se met à psalmodier l'incantation en latin :

—    Per noctem aeternam, foedus obsignatum. Obscura murmura, tenebrae resonant. Malignus vocem tuam audivit. Foedus conclusum, promissio tenebrarum. Lux te reiciat, puritas te non capiat. Pretium aeternitatis. Exsul e Paradiso, possessio mali. Venditus alteri, te requiro. *1

L'air devient de plus en plus oppressant à chaque mot prononcé. Alaric a véritablement emprunté le raccourci le plus rapide lorsqu'il a pactisé avec Mana... la véritable procédure est bien plus longue et intense... terrifiante. Ou bien l'est-elle car effectuée par un démon surpuissant ? L'est-elle car il ne s'agit pas simplement d'un rituel de passation d'âme, mais également de transmutation ?

Translatio animae, pro Satana, poursuit-il. Traditio, maleficium. In nomine Satanae, tradere me.

Pro Satana, te libero. Dit Alaric en répondant à l'incantation.

Pro Principe tenebrarum, in favores mali, disent-ils en chœur.

Ut haec anima tua fiat, daemon pestis, dit mon frère.

Testis Maligni, accipio. *2

Amaymon et Alaric poussent alors un soupir... et l'air s'allège. Il y flotte un silence, semblable à une pause fugace... tel le calme avant la tempête. Puis Amaymon reprend :

Ritualis transmutationis.

À l'instant où il prononce ces mots, le sol se fissure, et les flammes s'intensifient. Elles changent alors de couleur, passant du jaune au bleu... puis finalement au vert. Un vert âcre, d'une chaleur bien plus intense... D'une flamme non ordinaire, qui vraisemblablement me fait souffrir... Mais je serre les dents, et garde la main de Mana dans la mienne.

Cecidit AngelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant