Cecidit Angelus

XLIII

          Assise depuis un moment au chevet d'Isaac, la joue posée sur sa poitrine, je le regarde dormir, rassurée à chaque soulèvement de sa poitrine indiquant qu'il respire. Chaque fois que je ferme les yeux, j'ai ces anges sans visage dans la tête, prêts à nous tuer ; et lorsque je les rouvre sur mon ange déchu, je me souviens qu'ils ne sont plus qu'un mauvais souvenir.
          Une part de moi refuse désormais catégoriquement de remettre un pied sur Terre, et de me mêler à nouveau, de prêt ou de loin, à ces conflits surnaturels. Mais une autre partie réalise qu'elle a failli perdre Isaac, parce que je suis faible. Les autres me croient forte en raison du fait que je sois devenue un démon supérieur... et quelque part, ils n'ont pas tord de penser cela. C'est moi qui ai tord de rester faible alors que je ne le devrais pas. Je devrais être aussi forte qu'ils l'attendent tous. Je devrais devenir ce qu'ils attendent de moi. Pour que plus jamais, ce genre de chose ne se reproduise...
          Je me souviens de la première sensation que j'ai eu, lorsque je me suis réveillée après ma transmutation. Je me suis sentis différente. Puissante. Comme si mon don de télékinésie avait doublé voire triplé de son niveau actuel. Aujourd'hui, je sais qu'il ne s'agissait pas uniquement de ça, mais de tous les pouvoirs qu'un démon supérieur des maux et poisons peut avoir... Cette puissance-là, elle ne s'est pas volatilisée, au contraire. Elle n'a fait qu'aller en s'accentuant et en s'accentuant malgré mon ignorance. Il est sûrement temps maintenant qu'elle me serve à quelque chose.

—    Je ne vois vraiment pas ce que tu lui trouves, à ce sale type.

Je reconnais cette voix vulgaire et sarcastique qui me fait sourire. Je tourne la tête, posant l'autre joue sur la poitrine d'Isaac, et découvre Amaymon, les bras croisés, l'épaule adossée au seuil de la porte. Apparemment, lui aussi a élu domicile au palais du Prince. À croire que c'est un hôpital ici, tous les blessés finissent par se réveiller dans une chambre du château, j'en connais un rayon. Sûrement la grande attention que porte Le Prince à ses démons...

—    Il est plutôt joli garçon, tu ne trouves pas ? Plaisantai-je.

Amaymon grogne et grimace, pas le moins du monde convaincu.

—     Je me suis fais la réflexion tout à l'heure, repris-je, mais la chemise noire, c'est vraiment fait pour toi, ce devrait être ta marque de fabrique.

—    Tu trouves ? Fait-il le beau en passant ses pouces derrière ses bretelles. Je l'ai piquée au paternel. Il est pourri en tant que tel, mais c'est un paternel pourri qui sait s'habiller.

Je ris à ses insultes, celui-là, alors... il n'en manque pas une.

—    Alors comme ça, on est le fils du maître des enfers ? Le taquinai-je. Ça fait quoi ?

—    Aucun privilège, des problèmes de colère, une grande solitude, bref, tu verras, soupire-t-il.

—    « Je verrai » ? Relevai-je la tête, pas certaine d'être comprendre.

Amaymon me regarde alors d'un air incompréhensif, sourcil arqué. Son inconfort se remarque d'ici.

—    Comment ça, ils ne t'ont toujours pas briefé, ton équipe de bras cassés ?

—    Briefé a propos de quoi ? Questionnai-je en reposant ma tête sur mon merveilleux oreiller.

—    L-Laisse tomber... oublies.

—    Si tu ne veux pas répondre à cette question, peut-être que tu préféreras répondre à l'autre ? Comment tu as su que nous étions en danger, Isaac et moi ?

—    Comment cela ? Je t'ai entendue, bien-sûr.

—    Tu m'as entendue ? De la Géhenne alors que j'étais sur Terre ?