Cecidit Angelus

XXXIII

Mana

Plus de deux semaines ont passées depuis ma dispute avec Isaac. Est-ce qu'il est venu me voir pour en discuter ? Pas le moins du monde. Je n'espérais certes pas des excuses, mais ne serait-ce qu'un pas vers moi. Son absence n'a fait que confirmer mes pensées : je suis stupidement tombé sous le charme d'un homme indécis. Il le fallait bien, c'est ce que vis au moins une fois toutes les filles de ma génération, non ? Je ne peux en vouloir qu'à moi-même. Ça t'apprendra, idiote.
Je claque la dernière page de mon livre, maintenant terminé. Je me lève aussitôt en quête du second tome : direction chez Lina et Alaric.
Dans la rue, je croise Alvaró et Alessio en train de trinquer en terrasse, des jumeaux amis proches de Lilith et Keith. Ces derniers m'ont présenté à eux au cours d'un petit apéro dînatoire qu'ils organisaient, je les ai revus plusieurs fois depuis : ils s'invitaient facilement à nos soirées ensemble au Diablotin. Pas que cela me dérange, je les aime beaucoup, ils sont très drôles !
Deux démons de la race des Cauchemars, ils se nourrissent de la peur humaine émanant des rêves. Une effroyable description pour deux mâles diablement séduisants, au teint mat et aux cheveux noirs et courts, grands et sculptés. Ils se différencient par la couleur de leurs tee-shirt : Alvaró en noir, Alessio en blanc ; et par la barbe taillée en bouc du premier, à l'instar de la peau imberbe du petit frère.

— Oh, Mana ! Me fait signe Alvaró.

— Mana la plus belle ! S'écrie son jumeau en formant une parabole autour de sa bouche pour davantage porter ses paroles, et je les rejoins vite pour que cet idiot se taise !

— Bon sang, tu me fais honte Alessio ! Lui assurai-je.

— Mais ce n'est que la stricte vérité ! Lui confirme son aîné.

— Véridique !

— Vous êtes insupportables... soupirai-je.

— Tu nous adore ! Chantent-ils en cœur.

Je hoche la tête de droite à gauche, désespérée par ces énergumènes. L'aîné recule la chaise à ses côtés, la rapprochant de lui, et m'invite à m'asseoir en tapotant le siège. Dans le même temps, j'aperçois Alessio faire signe au serveur.

— Oh, non ! Dis-je à ce dernier. Je ne reste pas ! Je dois aller rendre ce livre à Lina, et vite commencer le prochain tome !

Mais ni une ni deux, le serveur débarque et pose une pinte d'Amus sur la table en verre. Je soupire de nouveau...

— Tu ne peux plus refuser, c'est déjà servi, notifie Alvaró.

— Juste une alors... c'est bien le seul défaut que je pourrais trouver au fait qu'il n'y ait pas d'argent ici. Les commandes sont servies à la seconde, sur Terre, ce n'est pas le cas.

— Quelle horreur ! S'indigne Alessio.

— Je ne saurais pas être patient, je suis trop habitué à cela, assure son grand-frère. Et si tu nous parlais un peu de ton monde, Mana, m'invite-t-il alors après un temps.

La demande ne me surprend pas : chaque fois que je les ai vus, ces deux-là et surtout l'aîné, m'ont assailli de questions sur le monde humain. Ne pouvant effectivement pas s'y rendre, ils n'en ont que des visions par les cauchemars des humains, cette race de démons qu'est leur nature étant la seule contrainte de devoir dormir afin de se nourrir. En effet, quand ils ne dorment pas, ils n'ont pas accès aux rêves humains. S'endormir est donc le moment pour eux de passer à table, ils partagent le monde horrifique de Morphée avec les humains, se nourrissant des émotions négatives qu'ils ressentent.
En ce qui me concerne, démon depuis peu, je dors car j'ai gardé le rythme d'une humaine, et puis, je n'ai pas grand-chose d'autre à faire en ce moment...