Plusieurs jours se sont écoulés depuis le début de l'épidémie. Je fais des allers-retours incessants entre les différentes salles et l'étage abritant les appartements de Satan pour gérer la situation, afin de garder un œil récurrent sur Mana et Alaric. Lorsque je me consacre aux malades et à mon frère, Lilith me relaie en veillant sur Mana. Lorsque je viens la voir, nous échangeons nos rôles, et elle court me chercher au moindre souci, ou bien dès que nous comptons un décès supplémentaire...
Déjà plusieurs dizaines de démons nous ont quittés depuis lors, des races de démons les plus faibles d'entre nous ; comme les Cabires, les Embuces comme Sofía, les Gnomes ou les Imps. À part les Embuces, qui sont des entités féminines démoniaque mi-animales cousines des vampires et qui se nourrissent des humains de sang pur, les autres races sont des espèces domestiques de démons. Leur petite taille leur donne une consistance plus faible, le poison se répandant plus rapidement dans leur organisme. Une fois le cœur atteint, leur corps devient lentement gris, leurs veines jaunes emplies de poison se teintent lugubres, et ils se désagrègent en cendres noires...
Je n'avais jamais vu pareil spectacle, pour dire, je n'avais jamais vu de démon mourir « pour de bon », en réalité... La raison est là et toute simple : ils ne sont pas censés mourir, pas définitivement, du moins. Lorsque j'ai brisé la nuque de cet ange que je combattais lors de mon procès, son âme est de suite remontée à la Terre Sainte. Voilà ce qu'est la « mort » dans le monde surnaturel. Un simple... « retour au bercail ». Tous ces démons sont déjà chez eux ici. Aucun démon ne peut mourir aux Enfers. Aucun ange ne peut mourir au Paradis. Sur notre lieu de vie, les uns comme les autres, nous sommes... comme invulnérables. Et pourtant, ils ont trouvé un moyen de nous combattre en interne. Comment ces anges ont-il fait pour créer pareil poison ?...
Je cogite et je fulmine à la fois en grignotant la chaîne de mon pendentif. Quand bien même ont-ils réussi à créer une substance nocive pour nous, je me pose la même question que Lilith : comment se sont-ils débrouillés pour rentrer aux Enfers ? Pour l'y faire circuler ? Mettre un pied sur ces terres maudites les tuerait instantanément, comme mettre un pied sur la Terre Sainte nous sanctifierait aussitôt. Ce n'est pas comme sur Terre où, malgré que le Fils de l'Homme y ait marché, le pêché est plus que présent. C'est par conséquent bien moins dangereux. Mais ici... ? Je ne vois point. Je ne comprends guère, et mon cerveau s'épuise à imaginer toutes les hypothèses plausibles, en vain.
Je suis interrompu dans mes pensées lorsqu'un garde du palais m'interpelle précipitamment. Sa sœur est malade, très malade, et je redoute de comprendre ce qui cause son affolement...
J'accours aussitôt, bien-sûr. La scène me serre le cœur, sans toutefois me surprendre.... Bien qu'elle soit un démon inférieur, d'un rang donc plus élevé que les démons domestiques, le poison a atteint son cœur. Ses veines ont pris cette teinte grisâtre, sombre, annonciateur de la fin...— Elle n'est pas morte, pas vrai ?!... Dit-il tout bas, bien que paniqué. Elle ne peut pas mourir, c'est un démon inférieur... ! Elle est plus forte. Le poison a emporté des démons domestiques, certes, mais ce sont les plus faibles, c'est normal... ! Ma sœur elle ne pourra pas mourir, pas vrai ?
Les doigts de celle-ci, posés le long de son corps, se désagrègent lentement en cendres noires, marquant l'ultime étape du processus. Il le voit, mais semble encore attendre confirmation de ma part. Le déni, comme chez tant d'autres proches. Et je les comprends, car encore une fois, la mort n'est pas censée exister en ces lieux... Nombreux sont ceux qui refusent et refuseront de croire en cette tragique situation... Je me dois cependant d'être honnête avec eux.
Je remonte donc doucement la couverture sur le corps de sa sœur, et le confronte, la gorge nouée :— Je suis désolé... Le poison a atteint son cœur... Son corps commence à se désagréger. C'est la fin...
Ses lèvres inférieures se mettent à trembler violemment, et il les mords pour contenir leur sursaut. Les larmes montent rapidement à ses yeux, fixés dans les miens. Lorsqu'il détourne son regard vers sa sœur, deux grosses gouttes s'échappent et viennent s'écraser au sol. Il ne dit rien. Pas un mot. Et je ne saurais dire si je préfère cela, à ce qu'il parle et m'insulte en m'affirmant que j'ai tord. Car... ô combien j'aimerais avoir tord... !
Face à son silence, démuni, je ne puis que poser une main empreinte de compassion sur son épaule, avant de tourner les talons... C'est le premier démon inférieur que le poison emporte... Cela signifie que ce n'est que le commencement ; les démons domestiques périront les uns après les autres si nous ne trouvons pas rapidement une solution... Les démons inférieurs suivront le même chemin, des plus faibles... aux plus forts... Jusqu'à emporter les premiers démons supérieurs... Et ainsi de suite, jusqu'au dernier...
Je serre les poings... Ces anges, ces « écartés »...

VOUS LISEZ
Cecidit Angelus
ParanormalDotée de télékinésie, Mana est persécutée des autres. Après un énième incident, le rejet qu'elle subi et la peur de blesser ses proches la mène à fuir. Le surnaturel la rattrape cependant, lorsqu'elle fait la rencontre d'Isaac, un ange déchu aux sec...