XXXVI

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Mana

Je termine ma course jusqu'à l'extrémité de la ville... Essoufflée, abaissée les mains sur les cuisses, je regarde de grosses larmes chaudes tomber de mes joues pour venir s'écraser sur le sol. Puis, j'éclate à nouveau en sanglots, et de plus belle...
Je m'accroupis, recroquevillée sur moi-même, pleurant toutes les larmes de mon corps entre mes genoux. Je ne me souviens même pas de la dernière fois que j'ai pleuré comme ça...
À chaque seconde résonne dans ma tête le monologue d'Isaac, et je me maudis d'avoir choisis, comme par hasard, le moment où Alaric est allé lui parler pour venir toquer à sa porte... Je pensais qu'il l'aurait fait le soir-même de notre discussion. Voyant qu'Isaac ne revenait pas vers moi le lendemain, ni Alaric, j'ai voulu prendre les choses en mains et m'excuser de moi-même, mais voilà le résultat...
Je le savais, j'avais raison... Isaac aime encore Lucile. Je suis parti avant de l'entendre dire quel était son problème avec moi, j'ai préféré ne pas me faire plus du mal... Si j'étais resté, j'aurais passé littéralement des siècles à ruminer ce défaut qu'il m'a trouvé, et qui a été rédhibitoire... Je n'aurais probablement jamais su me pardonner, je le sais très bien.
          Je me relève, les joues remplies de larmes que j'essuie de la manche de ma robe blanche. Cependant, elles n'arrêtent pas de couler, et je rejoins, la vue troublée par le chagrin, le sentier grimpant jusqu'aux portes de la Géhenne...
          C'est mieux comme ça. Je préfère partir, rejoindre Lilith et Keith en Australie, et laisser la paix à Isaac. À lui, et à tout le monde. Je n'irai plus embêter Alaric à lui demander conseil à son propos, ni plus Lina pour noyer mon chagrin dans les livres de sa bibliothèque. J'abandonne, cette fois c'est définitif... Je rejoins la terre, je regarde si tout va bien du côté de mes amis étant donné le retard qu'ils ont quant à leur retour, et je pars faire ma vie ailleurs... comme c'était le plan initialement, avant que je ne fasse la rencontre d'Isaac ; et que je ne devienne démon...
          Ceci dit quelque part, je suppose que cela aura eu du bon. Lina m'a affirmé que chaque être surnaturel avait un pouvoir de persuasion sur les humains. Je n'aurais qu'à l'utiliser pour me faire un peu d'argent, voyager, et finir par me perdre dans une maison  de campagne, solitaire. Déjà humaine avec un don je n'ai pas su m'intégrer dans ce monde, alors en tant que démon je n'ai aucun espoir. Contre toute attente je ne m'intègrerai pas ici non plus. Pas dans un enfer où celui que j'aime n'a de cœur que pour une autre. Sinon cet enfer portera bien son nom, et quitte à avoir le choix, je préfère celui de la solitude sur Terre.
          Après plus de trente minutes de montée, voire d'escalade — et je regrette d'être si trouillarde à l'idée de voler —, j'atteins enfin le haut de la falaise où je me suis retrouvée la première fois que j'ai mis les pieds en enfer. Lilith m'a dit la dernière fois que l'entrée de la grotte du Nyx était quelque part par ici... la voilà.
          Éclairée de torche à la faible lueur verte, j'entends, au fond, de l'eau s'écouler. Nul doute possible : le Nyx doit être tout près. Je n'ai qu'à longer la rive jusqu'aux portes de la Géhenne, et les pousser. Je serai alors enfin... libérée ?
          Pourtant, je suis incapable de faire un seul pas. Les poings serrés, les lèvres contractés, je me remets à pleurer comme un bébé... J'ai l'impression de ne pas avoir droit au bonheur... et ce depuis que je suis née... Mais je dois me faire à l'évidence : malgré tout ce qu'on a pu vivre Isaac et moi, et malgré qu'il ai essayé si fort, j'en suis sûre, de retrouver le bonheur avec moi... il n'a pas réussi, il ne parvient pas à oublier Lucile. Mais en ce qui me concerne malheureusement, l'enfer n'a le goût du paradis que lorsque je suis avec lui... je n'ai donc plus rien à faire ici.
          En sanglots, je m'avance donc vers l'entrée sombre de la grotte, quand soudainement, deux bras m'enveloppent doucement.

— Ne pars pas... Demande doucement la voix d'Amaymon.

Je me retourne, surprise, le démon du poison et de la maladie est là, fixant nos pieds d'un air affligé.

Cecidit AngelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant