Chapitre XIII

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    Une fois aux Enfers, l'air bouillant me fait le plus grand bien... Ça m'avait affreusement manqué. Que c'est bon d'être enfin à la maison.

—    Je vais demander audience tout de suite auprès du Prince. Affirme Alaric. S'il y a un nouveau démon qui est né, il sera le premier au courant.

Sur ces mots, il déploie ses ailes et file vers le château. Je fais de même.

—    J'espère que tu pourras profiter du banquet prévu en ton honneur, dit-il.

Je sais ce qu'il sous-entend. Que Mana soit vivante, ici aux Enfers. Mais il est aussi conscient que moi des probabilités qu'elle n'y soit pas. Et si c'est le cas... Je sais que je n'aurais même pas l'envie d'y être présent, que le Prince l'ai préparé pour moi ou non... Je m'excuse intérieurement auprès de lui, mais si Mana n'est pas là... Rien que d'y repenser, je...

—    Garde espoir, mon frère. Dit Alaric comme s'il lisait dans mes pensées.

Je tâche de l'écouter et de mettre ces pensées en sourdine. Une part de moi veut se recharger de cet espoir qu'il a, une autre n'osera pas. Sa perte me dévasterais... Trois jours seulement ou non, elle a su remplir mon cœur comme jamais aucune femme avant. Pas même Constance en plusieurs années, même si les circonstances étaient différentes... Mana, elle, j'ai cette impression que mon cœur l'a vraiment choisie. Et tandis que tomber ange déchu était le premier choix de toute mon existence, la choisir elle était le meilleur.

—    Que penserait Père d'elle, tu penses ? Demandais-je alors.

Alaric me regarde, plus que surpris que je parle de lui. Je le lui concède : cela fait huit siècles que je n'ai pas entamé le sujet, et il sait très bien pourquoi, il le comprend parfaitement.
    Mon frère rigole alors doucement :

—    Il la détesterait.

—    J'en suis sûr, affirmais-je en riant à mon tour.

Lorsque nous apercevons le château du Prince, une foule bruyante s'est agglutinée devant l'entrée, et Alaric m'affirme que lui et les autres n'ont pas fait les choses à moitié, alors il espère que je suis préparé. Connaissant le Prince, elles ont dû être faites avec exagération et somptuosité. Pour ne pas dire de façon démesurée...

—    Sur combien de temps a-t-il prévu les festivités ?... Posais-je l'inquiétante question.

—    Une bonne semaine !...

Je soupire... Le Prince tout craché.

—    Avec une telle foule nous ne pourrons jamais espérer voir le Prince... Nous allons passer par ailleurs.

J'acquiesce et suis mon frère jusque l'une des plus basses tours du château. Je souris d'avance en sachant qui loge en ces appartements, je ne l'avais pas vu depuis huit cent ans, ça me fait plaisir de pouvoir le revoir. Lui, le Prince, et tous les autres, ainsi que mes amis proches. J'ai enfin retrouvé mon chez-moi, ma famille, si seulement la situation me permettait d'en profiter au maximum...
    Une fois au seuil de l'entrée, Alaric et moi atterrissons et nous agenouillons aussitôt, la tête baissée et le bras gauche sur le genoux gauche.

—    Votre altesse Belphégor, saluons nous conjointement.

J'entends l'un des sept princes de la Géhenne se lever et s'approcher de nous à bruit légers de sabots.

—    Isaac, rit-il, ça fait plaisir de te revoir. Vous pouvez vous relever.

Nous nous exécutons, et je pose les yeux sur le prince de la Gourmandise, mi-homme, mi-bête, souriant de tous ses crocs. Il tapote gentiment mon épaule, et j'en fais de même sur son avant-bras.

—    C'est bon d'être retour.

—    Je profiterai comme il se doit de la fête en ton honneur !

—    Je n'en doute pas, riais-je. Mais plus important, revins-je aussitôt aux choses sérieuses, il nous faudrait obtenir audience auprès du Prince tout de suite. Pouvez-vous nous aider mon frère et moi ?

—    Bien évidemment, sourit-il. Ce sera mon cadeau de « bon retour à la maison ». Ne bougez pas, je vais vous le chercher.

Sur ces mots il s'éloigne, et mon frère et moi ne patientons pas plus de cinq minutes.

—    Satan vous attends. Venez !

Nous le suivons à pas rapides, impatients que le Prince nous dise que Mana est toujours en vie, me concernant impatient également de revoir un ami.
    Lorsque nous entrons dans la salle du trône, le Prince est là, de dos, vêtu d'un de ces ensembles curieux qu'Alaric adore porter aussi. Un « costume », si je ne m'abuse. Le sien est rouge et noir, et lui sied à merveille.
    Je m'agenouille devant mon Prince, en même temps qu'Alaric et Belphégor. Lorsque Satan se retourne, un énorme sourire étire ses lèvres, et je n'attends pas sa permission pour me relever. Il s'approche aussitôt, et me prend avec sincérité dans ses bras.

—    Quel plaisir de te savoir enfin rentré mon ami !

—    Plaisir hautement partagé, mon Prince.

—    Huit cent ans se sont écoulés, je crois que j'ai du mal à me rendre compte. J'aurais aimé que mes attributions me permettent de venir te voir plus d'une fois. Mais pour me faire pardonner, j'ai préparé l'une des plus grandes fêtes que la Géhenne n'ai jamais vu ! Affirme-t-il. Je t'attendais justement ! Suis-moi ! Je tiens à faire l'annonce de ton retour, la salle de réception est déjà pleine de monde !

—    Si je puis me permettre !... Repris-je... Je crains de n'avoir le cœur à la fête à moins que vous ne puissiez répondre positivement à l'une de mes questions...

—    Je t'écoute ? Dit-il, alors sérieusement curieux.

J'inspire. Un regard en arrière vers mon frère qui hoche de la tête pour me confirmer que je dois me lancer, et je me retourne à nouveau vers le Prince. Étrangement, un flot de souvenirs de ces trois derniers jours accompagné de Mana déferle dans mon esprit. De la première fois que je l'ai vu, en larmes, à la première fois que j'ai entendu sa voix s'adresser à moi. La première fois que j'ai effleuré sa peau, que je l'ai prise dans mes bras, lorsque qu'elle m'as permis de rentrer dans sa tête, sans réaliser quel acte intime cela peut-il être chez nous... Et la première fois que ma bouche a embrassé la sienne, tout ce que mon cœur a pu ressentir... Je n'avais pas embrassé de femme depuis de temps et pourtant j'ai pris le risque de l'embrasser sans peut-être ne plus savoir comment faire. Et elle a su accueillir mes lèvres comme personne. L'idée de ne plus la revoir ne me hante pas seulement, elle me terrifie.
    Cependant j'expire un bon coup, et la boule au ventre, je demande :

—    Alaric a contracté avec une humaine pour réincarner son âme en démon afin de la sauver de la mort... Je voulais savoir si... Hésitais-je... Je voulais savoir si...

Mais les mots ne sortent pas de ma bouche. Satan sourit alors, l'air de rien, et sans n'en dire plus, il se retourne et marche vers la sortie de ses appartements. Je devine qu'il m'invite à le suivre, et je le suis donc, inquiet.

Cecidit AngelusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant