L'avion commence enfin sa descente vers New York. Le soleil pointe à peine son nez sur l'horizon. Je suis un peu vaseuse. Le voyage m'a semblé interminable. Jamais je n'aurais pensé que traverser ce fichu océan allait me prendre autant de temps. Dans mes oreilles, Nirvana résonne à fond la caisse. Rien ne vaut les bons vieux classiques. L'hôtesse vient de me dire quelque chose, mais je n'ai rien compris. Je m'en fous après tout. Je me contente de secouer la tête pour qu'elle me fiche la paix. Pas moyen d'être tranquille ! Je range à la hâte mes affaires. Je n'ai pas grand-chose : ma veste, mon IPod. J'ai appris à voyager léger. Ce n'est que la énième fois que je déménage comme une voleuse. Ça fait longtemps que j'ai arrêté de compter. Sept ans que je suis sur la route, sept longues années d'errance, de fuite, et ce n'est pas près de s'arrêter.
Je sors mon passeport trafiqué que j'ai acheté une blinde au marché noir et croise les doigts pour que le policier en face de moi n'y voit que du feu. En Europe, ils sont tatillons sur la sécurité mais ça n'a rien à voir avec ici. Son regard passe de moi à la photo. J'affiche mon sourire factice de gentille fille.
- Ivy Black. Pas commun comme nom.
Sa mine patibulaire sent le moisi pour moi.
- Oui, je sais, mes parents avaient un sens de l'humour pourri. Il faut croire qu'ils n'avaient pas très envie de m'avoir.
Pas de réaction. Aïe, il n'est pas sensible à mon sens de l'humour.
- Pour affaires ou pour le plaisir ?
Question de survie, mais difficile de lui répondre que c'est pour sauver mes miches. Je retiens un autre trait d'esprit et me contente de répondre à ces questions de la manière la plus normale possible.
Normal. C'est bien un qualificatif que ne me va pas. J'aurais pu passer pour une de ces filles qu'on croise dans la rue. Anonyme, un peu paumée, au look décalé à cause des tatouages me couvrant tout le bras. Mais ce ne sont pas eux qui font mon originalité. Pas même mes cheveux violets. Non, c'est bien plus subtil et flippant. Je suis le genre de personne qu'il vaut mieux éviter de croiser un soir de pleine lune, dans une ruelle déserte. J'imagine déjà le sourire en coin de certains. Mais détrompez-vous, ce n'est pas parce que vous ne nous voyez pas qu'on existe pas. Nous ne sommes pas qu'une légende, le fruit d'imaginations fertiles. Nous sommes réels. Les créatures existent et j'en suis une preuve vivante. Je suis une putain de lycaon.
C'est à l'âge de quatorze ans que j'ai découvert cet état de fait. Mes parents, Thomas et Déborah Black, étaient d'honorables notables d'une petite ville perdue dans le fin fond de l'Irlande. Autant dire le trou du cul du monde. Peu importe, j'étais à l'époque une jeune fille heureuse et épanouie. Bien sûr, je me posais des questions les soirs de pleine lune quand mes parents s'éclipsaient avant la tombée de la nuit, me laissant à la garde d'une tante éloignée, âgée et à la santé fragile. Mais, naïvement, j'avais mis tout ça sur le coup d'escapades romantiques. Qu'est-ce qu'on peut être con quand on est petit.
Et puis, un jour, j'ai trouvé mes parents, assis dans le salon, en train de m'attendre alors que je rentrais du lycée. J'ai cru d'abord que la connerie que j'avais faite en cours de biologie était arrivée jusqu'à leurs oreilles. J'aurais préféré. Mais non, ils ont commencé par me demander de m'assoir, d'un air grave, et puis ils se sont mis à déblatérer cette histoire de loup-garou. J'ai d'abord éclaté de rire, puis voyant qu'ils gardaient leur sérieux, j'ai pensé qu'ils viraient fous. Ils ont repris leur discours, toujours aussi solennels. Ils ont continué de m'expliquer que nous étions une meute, que bientôt j'allais en faire partie à part entière, car j'allais hériter du don. Aujourd'hui je comprends que c'est plutôt une malédiction. Le visage grave, mon père a fini par conclure par une phrase qui résonne encore dans ma tête. « Dans quelques jours, tu comprendras, Isadora. Tu prendras toute la mesure de la chance qui t'ait donnée. » Evidemment, je ne les ai pas cru. Comment croire que mes bourges de parents, toujours tirés à quatre épingles, puissent se transformer en bêtes féroces assoiffées de sang. J'ai juste pensé que la crise de la quarantaine devait s'accompagner d'une phase de schizophrénie.
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Louve solitaire (en cours de correction)
Hombres LoboVous vous rappelez de cette histoire d'amour avec un loup-garou qui tombe amoureux d'une humaine, qui elle aime un vampire ? Eh bien, c'est tout l'opposé de ma vie ! La mienne n'est qu'une succession de galères, qui a débuté le jour de ma Métamorpho...