Ma tête heurtant durement le plancher me ramène aussitôt à la réalité. Je cligne plusieurs fois des yeux pour tenter de retrouver mes esprits. Il y a quelques secondes, j'étais dans les bois, dévorant une biche et me voilà affalée sur le sol d'un appartement tout pourri. Penché au-dessus de moi, le poing levé surplombant ma joue, le chasseur me fixe d'un regard plein de haine et d'appréhension. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je sens juste une douleur parcourir ma mâchoire jusqu'à atteindre le coin de ma bouche. Instinctivement, je lèche ma lèvre. Du sang. Les réminiscences du rêve viennent me titiller. Mais ce n'est pas celui de la biche, mais le mien. Je l'essuie, en grimaçant.
- Non mais ça ne va pas bien ! Qu'est-ce qui t'a pris ?
- J'ai été obligé, grogne-t-il, toujours le poing serré, prêt à frapper. Tu étais en train de te transformer.
Je fronce les sourcils devant sa remarque absurde. Je ne peux pas me transformer, la lune n'est pas encore ronde.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je ne peux pas faire ça. Ce n'est pas la pleine lune !
- C'est justement pour ça que je t'ai frappée, s'énerve-t-il, toujours en position défensive.
Je pense qu'il est aussi perdu que moi. Mais j'ai du mal à le croire. C'est impossible que je me change en loup maintenant. A la limite, j'ai peut-être hurlé dans mon sommeil, ou fait un peu de somnambulisme, mais me transformer ! Il a dû fumer un sacré truc avant de venir me chercher. J'ai bien envie de le chambrer mais il n'a pas l'air de plaisanter. Et puis, un seul coup de poing par jour, c'est suffisant.
- C'est bon, tu peux rengainer ton poing, marmonné-je. Je ne vais pas te bouffer !
Son poing se resserre davantage. Il est sacrément remonté. Qu'est-ce que je suis sensée dire pour qu'il me croit ?
- Ecoute, chasseur. Je ne suis pas du genre à chercher les ennuis. J'ai plutôt tendance à les fuir, comme tu as pu le remarquer. Alors, tu penses vraiment que je voudrais me mettre à dos un chasseur en m'attaquant à lui ?
- Tu te fous de moi ! Tu as vu l'état de mon parquet !
Je tourne la tête et je tombe une longue griffure qui strie le sol. Putain de merde ! Je dois avouer qu'il y a de quoi douter. Je ne sais pas comment ça a pu arriver mais il faut que je calme le jeu ou il risque de m'arracher la tête avant le lever du jour.
- Ben quoi ? Tu ne vas pas nous faire une scène pour ça !
Il me foudroie du regard. Je fais de même, tout en massant ma mâchoire endolorie. Putain, il n'y est pas allé de mains mortes !
- Dis, tu étais obligé de frapper si fort ?
- Je croyais que les lycaons savaient encaisser ?
Je tique devant la pointe d'ironie que j'ai perçue dans sa voix.
- Et c'est parce que tu as une belle gueule, que tu te sens obligé de passer un connard ! Et puis, si tu voulais qu'on fasse quelque chose ensemble, il suffisait de demander au lieu de me sauter dessus comme ça. Je suis peut-être une lycaon mais je suis civilisée.
Le chasseur se met à cligner des yeux. Ah ! ça t'en bouche un coin ! Ses sourcils se froncent et je redoute soudain d'avoir été trop audacieuse. Mais, finalement, son poing se baisse, mais son regard continue à me détailler. Je réprime un sourire. Il ne faudrait pas trop tenter ma chance.
- Ne me prends pour un idiot. Je sais ce que j'ai vu et ça n'avait rien de normal. J'ai eu raison de te ramener ici. Le conseil doit te rencontrer au plus vite.
Il s'assoit sur moi à califourchon, passe les mains au-dessus de moi pour vérifier mes attaches. Je ne peux m'empêcher de renifler son parfum. A cette distance, avec le nez quasiment collé à son torse, je perçois distinctement son odeur boisée. Senteur qui me renvoie au rêve dont il m'a extirpé contre mon gré. Et je me sens soudain toute chose. Le chasseur se redresse alors et retourne vers son lit, sans me lâcher des yeux. Je baisse les miens pour éviter de trahir les pensées fugaces qui traversent mon esprit. Pas sûr qu'il apprécie.
- Pour l'instant, je suis trop crevé pour être opérationnel à cent pour cent. Donc maintenant tu dors et tu te tiens tranquille, ou je sors des chaines, ronchonne-t-il.
Je grimace à l'idée. Il vient de casser l'ambiance. Alors qu'il se retourne pour s'allonger, je ne peux m'empêcher de lui servir un joli doigt d'honneur. Sentant sûrement que je manigançais quelque chose dans son dos, il fait volte-face et je remballe mon signe d'amitié, tout en lui affichant un sourire niais. En réponse, il me lance un dernier regard noir et s'installe, assis, les bras croisés sur la poitrine et une arme posée sur les cuisses.
Bon sang, je suis dans de beaux draps. Coincée au pied du lit d'un chasseur qui, comme tous ses congénères, ne me porte pas dans son cœur, mais sur qui j'ai commencé à fantasmer. Il faut que je tienne ma libido en muselière. C'est une mauvaise idée, une très mauvaise idée.
- Pourquoi est-ce que tu me fixes encore comme ça ? marmonne-t-il. Je t'ai dit de dormir.
- C'est juste que... c'est la première fois que je tombe sur un chasseur. Enfin, j'en ai déjà croisé certains, mais je ne suis pas restée pour faire la causette.
- Et alors ? m'interroge-t-il, en levant un sourcil.
- Je suis curieuse.
- Dans ton monde, la curiosité est mauvaise conseillère. Il n'amène que des problèmes. Alors ferme les yeux ou je viens t'aider à trouver le sommeil un peu plus vite. Un coup de crosse, c'est toujours efficace.
Je grogne et me rallonge, en mode grincheuse. Dire que j'étais venue aux Etats-Unis, en me disant que ça allait être plus tranquille si je mettais plus de distance entre mon père et moi. Je me retourne vers ce fichu radiateur. Je soupire de consternation. En fin de compte, je ne suis pas mieux traitée ici. Une lycaon reste une lycaon, quel que soit le continent. Mais, avec de la chance, je vais pouvoir lui fausser compagnie et me perdre dans l'immensité de ce pays. Personne ne me connait, ou connait mon père ici. Je suis juste une inconnue perdue dans la masse. Je pourrais facilement me faire oublier et au bout d'un moment, le chasseur perdra patience et repartira à son petit train-train, qui consiste à botter le train des créatures qui osent transgresser les règles.
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Louve solitaire (en cours de correction)
WerewolfVous vous rappelez de cette histoire d'amour avec un loup-garou qui tombe amoureux d'une humaine, qui elle aime un vampire ? Eh bien, c'est tout l'opposé de ma vie ! La mienne n'est qu'une succession de galères, qui a débuté le jour de ma Métamorpho...