Chapitre 52 (en cours de correction)

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Non mais c'était quoi ça ! Je reste figée quelques secondes, perplexe devant ce qui vient de se passer. Pourquoi cette sensation soudaine de danger ? Elle n'avait pas l'air d'être un être surnaturel. Pourtant... Cesse donc de te poser des questions. Allez, Ivy, bouge. Ne lui laisse pas l'occasion de revenir à la charge. Ni une ni deux, j'attrape ce qui me manque, passe à la caisse et sors en trombe de l'établissement. Un dernier coup d'œil vers l'intérieur. Le couple est au comptoir. La brune semble discuter avec la vendeuse, tandis que le blond me fixe, un sourire étrange sur les lèvres. Sans demander mon reste, je démarre et accélère pour mettre le plus de distance possible entre nous.

Au bout de quelques kilomètres, je sens la pression redescendre. Vraiment bizarre cette rencontre. Et puis merde, je m'en fous. C'est derrière moi tout ça. Ce n'est pas comme si on allait se recroiser. Je me mets à traverser à ce qui ressemble vaguement à un hameau. Il faut dire qu'en dehors des grosses villes comme Vancouver, le Canada est plutôt une contrée sauvage. Par endroits, on a plus de chance de croiser un grizzly qu'un être humain. Mais j'aime ça. Si je n'étais pas pris dans une merde incommensurable, je pourrais m'y sentir bien. Malheureusement, le destin avait décidé de se foutre de moi jusqu'au bout. Ce n'est que lorsque je tombe sur le panneau géant à l'entrée du village, que je comprends l'ironie du sort, comme on dit.

Clearwater. Et oui, comme mon clan. Mais surtout comme le bled à partir duquel débute la route vers ma destination finale. Plus que quelques kilomètres et je serais à l'endroit où l'Apocalypse devrait débuter. Putain de bordel de merde ! Le démon s'est joué de moi. Moi qui pensait me laisser porter au gré du vent ! Je me suis fait berner. Il m'a emmené exactement où il voulait. J'enrage mais le mal est fait. Inutile de me prendre la tête plus que ça, j'y suis déjà.

Je prends donc la direction de la route qui doit me conduire au pied de Spahats Falls. Je gare la moto, prend mon sac à dos et commence à arpenter le sentier forestier. Pas une lumière, si ce n'est le clair de lune. Nous avons attendu qu'elle soit pleine car les capacités des créatures de l'ombre sont accrues à ce moment-là. Après quelques minutes de marche, me voilà sur une plate-forme de bois qui surplombe la chute d'eau.

Dans la pénombre, on ne distingue pas grand-chose. Tout juste un grand mur blanc, diffusant une brume légère. Cependant, le bruit est apocalyptique. Il couvre tout. Impossible de distinguer le moindre bruit caractéristique de la vie nocturne de la forêt. Trouvant un arbre contre lequel m'appuyer, je déroule le sac de couchage, m'y installe et sort le sandwich que je viens d'acheter. C'est ma dernière nuit dans le monde tel qu'il est. Et je suis seule. Comme je l'ai toujours été. Sauf ces derniers temps.

Mais comme la vie aime se foutre de moi, elle m'a balancé carrément deux hommes totalement différents. Mais je n'ai pas su choisi. Alors on m'a arraché l'un. Ça m'a détruit. Et je me suis inexorablement éloigné de l'autre. Mais bientôt, tout ça n'aura plus d'importance. Demain, à la même heure, mon existence aura été rayée de la carte tandis que l'Enfer vomira tous ses démons dans la vallée. Putain, j'en deviendrai presque nostalgique. Réprimant un frisson, je réajuste la couverture sur mes épaules et me laisse lentement sombrer dans le sommeil.

Quand j'ouvre les yeux, le soleil commence à peine à montrer le bout de son nez. Le dernier jour de l'humanité vient de débuter et personne ne le sait. Excepté les créatures qui vont la détruire. Le bruit de la cascade m'a bercée toute la nuit. Emmitouflée dans la couverture, j'ai eu l'impression d'avoir hiberné. Les gouttes de rosée se sont accumulées sur mon duvet, mais je ne bouge pas. Je n'en ai pas envie. Je prends une profonde inspiration, emplissant mes poumons de l'air frais du matin. J'aimerais que ce moment soit sans fin. Juste rester là à admirer la nature. Indéfiniment. Les yeux se perdant dans l'immensité de ce paysage, profitant des couleurs pastels de l'aube.

Mon regard embrassant la forêt, ses couleurs sombres, la falaise escarpée, la cascade. Juste écouter le bruit assourdissant de la chute d'eau, de son impact dans le bassin à plusieurs mètres plus bas. Le chant des oiseaux. Le craquement du bois qui chauffe au soleil. Et puis sentir. Sentir la rosée, le sous-bois, les fleurs à peine écloses. Tout ça va me manquer. Tout cette beauté, toute cette harmonie. Je suis sûre que l'enfer ne ressemble en rien à tout cela. Lucifer va imprimer son empreinte sur Terre et rien ne serait plus pareil. Je soupire, le cœur un peu serré, effrayé par l'avenir qui se profile.

Mais avais-je vraiment le choix ? aurais-je réellement pu choisir une autre issue ? J'ai l'impression que mon existence entière n'avait pour but que cet instant. Ce moment décisif où tout va basculer. Un frisson parcourt soudain mon échine. Je m'étire pour m'en débarrasser et réveiller mes muscles endoloris. Mais quelque chose me perturbe. Je tourne la tête dans tous les sens. Et là je le vois, adossé à un arbre, comme moi, ne me lâchant pas des yeux.

- Depuis quand es-tu arrivé ?

- Depuis assez longtemps pour t'entendre ronfler. On aurait dit un grognement d'ours. Je me demande d'ailleurs pourquoi aucun d'entre eux ne soit venu défendre son territoire.

Ach et son humour pourri. Je ne peux empêcher un timide sourire venir fleurir sur mes lèvres. Quelques heures plus tôt, je l'aurais envoyé se faire foutre, mais là, je suis juste heureuse de l'avoir à mes côtés. Sans que j'aie à le lui dire, il se lève, fait les quelques mètres qui nous séparent, sans montrer la moindre émotion, et s'assoit tout contre moi. Mes yeux se tournent à nouveau vers la cascade. Nos corps ne se touchent pas, se frôlent à peine. On n'a pas besoin de plus. Mes pensées sont siennes. Il me comprend et je le comprends. Un peu mieux maintenant. Instinctivement, mes doigts cherchent les siens et ils s'entrelacent. On ne dit rien. On reste juste là, arrimés l'un à l'autre. Je ne peux me mentir. Il est important pour moi. Il ne remplacera pas Luc, mais Luc n'aurait pas pu le remplacer non plus. Ils sont juste une partie d'un tout. Il m'a fallu un temps fou pour m'en rendre compte. J'ai dû en perdre un et m'éloigner de l'autre pour ouvrir enfin les yeux.

Jesuis contente de pouvoir vivre ce dernier jour avec lui. Mon dernier jour, maispas le sien. Je sais que le démon m'éliminera dès l'Apocalypse accomplie. Jesuis trop imprévisible, trop rebelle. Mais pas Ach. Il a appris à vivre avec, àl'aimer même. Leurs âmes sont indissociables, entremêlées à jamais. Ilcontinuera à vivre après tout cela et ça me brise le cœur. Car je sais qu'il vaen souffrir. Son amour pour moi est beaucoup trop fort. Un vrai poison qui vale consumer petit à petit, qui va le rendre fou. Pardonne-moi Ach. Pardonne-moide t'infliger ça, de t'avoir infligé tout ça. Peut-être nous reverrons nous enEnfer ? Je l'espère.    

Louve solitaire (en cours de correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant