Le soleil n'est pas encore levé mais je n'arrive déjà plus à dormir. Depuis que j'ai quitté la maison de cette saleté de manipulatrice, en la laissant en sang dans les bras de Ach, mes nuits se font courtes. Le sommeil ne veut plus de moi. Et quand j'arrive à enfin m'endormir, je ne vois que sang, souffrance et le rire machiavélique du démon auquel se lie celui de Hella. Je rêve d'enfer la nuit, et le vis le jour.
J'ai repris ma cavale, passant de ville en ville. Mais le rythme est beaucoup plus soutenu. Avant je pouvais rester au même endroit plusieurs semaines, voire quelques mois si je réussissais à être assez discrète. Maintenant, je suis contente quand je peux rester deux semaines de suite. Le démon a pris en puissance. Chaque instant est une lutte contre ses instincts meurtriers. Plus d'une fois, je n'ai pas réussi à le contrôler. Il y a eu des cadavres, beaucoup de cadavres. Ce qui lui procure le plus de plaisir, et moi de cauchemars, c'est de massacrer les pauvres bougres qui ont le malheur de croiser sa route. Quand je reviens à moi, couverte de sang, devant leurs corps mutilés, je n'arrive même plus à pleurer. Je me sens juste lasse de devoir trouver comment camoufler mes crimes.
Ce matin, le démon me fiche la paix. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou m'inquiéter. En général, ce n'est que le calme avant la tempête, même s'il a eu sa dose de violence hier soir. Les forêts de Yellowstone sont un terrain de jeu idéal, avec son lac acide. Très pratique pour faire disparaitre des corps.
Je me lève tant bien que mal. Mon corps est encore endolori, épuisé par les courses effrénées que le loup m'impose. Je me dirige vers le miroir. J'ai une mine affreuse. Des cernes imposants mangent la moitié de mon visage. Des traces de griffure parcourent encore mes bras. Le combat a été rude. C'est qu'il ne s'est pas laissé faire le randonneur d'hier soir. Déjà deux massacres en moins d'une semaine, je vais finir par attirer l'attention.
Je fixe intensément le miroir de mes yeux bleus. Qu'es-tu devenu, Ivy ? Je soupire tout en fermant les yeux. Quand je les rouvre, je perçois un mouvement dans un coin de la pièce encore plongé dans la pénombre. Je me retourne, mais j'ai beau scruté l'endroit en question, je n'y distingue rien. Je passe une main sur mon visage fatigué. Mon cerveau manque de repos et je me mets à imaginer, tout et n'importe quoi. Je me tourne à nouveau vers le miroir. Une autre journée commence et je suis déjà épuisée. Je prends une grande inspiration. Si je me laisse aller, le démon va finir par m'avoir et ça, il n'en est pas question. J'ouvre le tiroir de la commode, en face de moi, en sort quelques fringues et me prépare pour le boulot. Alors que je me dirige vers la salle de bains, mes yeux dérivent vers la pénombre. Aussitôt, je me fige.
Dans le coin de la pièce, là où je n'avais rien vu quelques secondes auparavant, il y a à présent une silhouette. Une ombre dont je ne peux détacher mes yeux. Cette délicieuse musculature, cette démarche assurée, ces cheveux blonds. Je sais que ça ne peut pas être lui, qu'il n'est pas vraiment là. C'est encore un des sales tours de ce démon maudit. Il prend un malin plaisir à m'infliger des hallucinations, plus que réalistes. Pourtant, mon souffle se bloque dans ma poitrine. La douleur m'étreint fermement, me broie les entrailles. Luc. Il me manque, plus que je ne l'aurais imaginé.
Plus il avance vers moi, plus mon corps se tend. Réflexe futile, mais mon cœur n'en a que faire que ce ne soit pas la réalité. Ses mains puissantes se posent délicatement sur mes épaules. Un frisson me parcourt l'échine. Une vraie torture, ces foutues visions. Son corps est si près du mien que je sens une douce chaleur m'envahir. Sa tête se penche sur moi, rapprochant son souffle chaud de mon cou.
- Tu me manques. Pourquoi es-tu partie ? Pourquoi m'as-tu abandonné ?
Sa voix chaude est pleine de reproches. Elle gronde, elle vibre mais sa colère est aussi grande que le désir qui transpire de son timbre suave. Ma gorge se serre. Je sais que ce n'est pas réel, mais ce que je ressens l'est. Je me sens tellement mal, tellement honteuse. Ses mains me serrent plus fort.
- Tu m'as trahi. Tu l'as laissé te manipuler. Tu l'as laissé te toucher.
Je lève les yeux vers son visage. Il ne me regarde pas. Ses yeux pleins de haine fixent un point de l'autre côté de la pièce. Je suis son regard et manque de défaillir. Il ne va donc rien m'épargner aujourd'hui ? Ach nous observe, appuyé contre le mur, son regard violet braqué sur moi. Je voudrais m'enfuir d'ici, partir loin pour chasser ces hallucinations beaucoup trop douloureuses. Mais mes pieds sont cloués au sol et mes yeux ne veulent pas se détourner. Contre moi, le corps musclé de Luc est tendu à l'extrême. Doucement, Ach se redresse sa silhouette élancée. Les mains dans les poches, il pose sur moi un regard brûlant. Je déglutis avec peine. Voyant l'effet qu'il a sur moi, un sourire en coin naît sur ses lèvres. Tel un félin, il se rapproche.
- Je t'ai dit que tu seras à moi. Tôt ou tard. Tu es comme moi, un être à l'âme corrompue, une créature du mal. Tu t'es donnée entièrement à moi. Tu as laissé sortir la colère, la rage que tu contiens depuis trop longtemps. Et ça t'a soulagé, tu as aimé ça.
- Non !
Ma réponse est plus un cri qu'autre chose. Non, je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas un être sanguinaire qui se nourrit de la peine des autres, de leur souffrance. Je ne veux pas être comme ça. Ach pose sa main glacée sur ma joue et me sourit tendrement.
- Mais tu n'y peux rien. C'est trop tard. Tu as laissé le démon t'atteindre. Bientôt tu le libéreras. Et tu te rendras compte que toute cette lutte était inutile.
Luc me tire vers lui et m'arrache de la contemplation des yeux si expressifs du vampire.
- Je savais que tu n'étais qu'un monstre au fond de toi. Je me suis laissé aveugler. Tu ne mérites pas ce que je t'ai donné. Ma confiance, mes sentiments. Tu les piétines, tu les détruis.
Il me repousse violemment et je tombe lourdement au sol. Je recule rapidement, jusqu'à buter contre le lit, terrifiée que cette illusion est tant d'emprise sur moi. Le regard du chasseur me juge, me renvoie toute la honte qui m'habite. J'ai mal, tellement mal. Les sanglots menacent. J'essaie de les contenir.
- Oublie-le, dit Ach d'une voix douce, tout en se penchant sur moi. Viens avec moi et oublie cet homme qui ne te comprend pas. Moi je sais ce que tu es. Nous sommes identiques.
Mes yeux ne cessent de faire des aller-retour entre les deux. Le regard haineux de Luc, le regard doux de Ach. Mon cœur est partagé, mon esprit perdu. Je ne veux pas n'être qu'une bête, je refuse de laisser le démon prendre le dessus. Je veux être quelqu'un de bien, de normal. Je veux que Luc m'aide à combattre cette abomination qui m'habite. Lui seul peut m'aider à la faire partir. Mais il y a Ach. Il me comprend. Il sait ce que c'est de vivre avec ce monstre à l'intérieur. Luc est ma rédemption, mais Ach est mon essence. Je ne peux pas choisir. Je ne veux pas choisir. Je me prends la tête entre les mains. J'en ai marre de tout ça. Je suis fatiguée de devoir lutter.
- Alors libère-moi.
La voix rauque du démon couvre tout.
- Tu ne pourras pas toujours résister. Epargne-toi toute cette souffrance. Offre-moi la liberté, je te donnerai tout ce que tu veux. Le vampire, le chasseur. Tu les auras tous les deux.
- Ca suffit, hurlé-je, les deux mains plaquées sur les oreilles. Je ne veux plus de tout ça.
- Alors obéis-moi.
- Jamais. Jamais je ne te laisserai prendre le contrôle.
Je me mets à hurler de toutes mes forces, ferme les yeux aussi fort que je le peux. Quand l'air me manque, j'arrête, épuisée. J'entrouvre les paupières et tout a disparu. Luc, Ach. Je me retrouve seule, tremblante, recroquevillée contre le pied du lit, à pleurer des larmes de rage et de chagrin.
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Louve solitaire (en cours de correction)
Manusia SerigalaVous vous rappelez de cette histoire d'amour avec un loup-garou qui tombe amoureux d'une humaine, qui elle aime un vampire ? Eh bien, c'est tout l'opposé de ma vie ! La mienne n'est qu'une succession de galères, qui a débuté le jour de ma Métamorpho...