Chapitre premier, Une lumière sombre au bout du tunnel

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***

Annabelle raffermit sa prise sur ses bras. Ses doigts s'enfoncèrent douloureusement dans sa peau glacée, y laissant des marques violines. Si elle serrait plus fort, de plus en plus fort, peut-être aurait-elle moins froid ? Moins mal ? Peut-être pourrait-elle ne plus se concentrer que sur cette sensation, oblitérant le reste ? Peut-être ne sentirait-elle plus son esprit s'effilocher, emportant avec lui sa raison et laissant derrière, des germes de folie ?

Annabelle s'effaçait peu à peu, comme un goutte à goutte éteignant un feu devenu braises, et qui bientôt, ne dégagera plus aucune chaleur.

L'hiver était là, et la jeune femme l'avait senti prendre progressivement le pas sur l'ultime flamme qui permettait à son corps et son esprit de ne pas s'ankyloser.

Ses dents claquèrent violemment tandis qu'un frisson la parcourait, rendant le moindre de ses gestes douloureux. Elle grimaça, et sentit la peau de son visage s'étirer sous l'effort.

Devant ses lèvres gercées, une fine brume apparaissait à chaque nouvelle expiration.

Mentalement, elle se mit à les compter.

Une. Deux. Trois... Cent quarante-sept. Cent quarante-huit...

Assise sur un lit au matelas de paille, elle ramena ses genoux tout contre elle et y enroula ses bras. Un mouvement de balancier accompagna bientôt son décompte.

Des nombres silencieux s'échappèrent de sa bouche pendant une éternité. Au point qu'elle se souvint s'être assoupie que lorsqu'elle se réveilla en sursaut, manquant de tomber de sa paillasse.

Annabelle se mit à tousser si fort que les poumons parurent sur le point de déborder de ses lèvres desséchées. Sa gorge en feu était traversée d'un millier d'aiguilles chauffées au rouge, mais elle refusa de boire.

Tremblante, elle se contenta de couvrir ses épaules avec la couverture miteuse qu'elle ne quittait plus et qui avait glissé lorsque ses paupières s'étaient lentement fermées.

Depuis combien de temps était-elle emprisonnée ?

Des semaines ? Des mois ? Des années ?

Elle n'aurait pu en jurer. Elle avait bien tenté de compter les repas qu'on lui apportait ou les fois où l'on venait changer son pot de chambre souillé, mais comme aucune n'était régulière, elle avait vite laissé tomber. Et si le soleil eut été d'une aide précieuse, elle ne pouvait guère compter dessus non plus : sa cellule ne dénombrait aucune fenêtre.

Elle ne voyait le temps défiler qu'à la maigreur de son corps dont les côtes ne cessaient de pousser contre sa peau jusqu'à vouloir la faire éclater. Ou peut-être était-ce l'inverse ? Sa peau s'enfonçant de plus en plus profondément sur ses os.

Elle ne savait plus. Elle n'était plus sûre de rien.

Une chose était toutefois certaine : Silla Mhùron avait un don certain pour la torture psychologique. Annabelle ne savait pas si elle pourrait encore garder sa santé mentale dans de telles conditions. Ne pas savoir ce qu'il advenait de ses compagnons, ne pas pouvoir compter le temps qui passe, et ne jamais apercevoir la lueur du jour, étaient trois choses qui la portaient aux portes de la folie.

Ne pas savoir.

Elle ignorait où étaient ses compagnons, s'ils étaient même encore en vie. Euridice était-elle retenue captive dans les mêmes conditions qu'elle ?

Lorsqu'on l'avait amenée et bouclée dans sa cellule, elle avait crié. Hurlé le nom de son mentor, son amie, mais seul son écho lui avait répondu. Chaque jour, elle avait appelé dans l'espoir d'une réponse. Chaque jour jusqu'à ne plus être capable de les compter.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant