Chapitre Trente-sept, Bienvenue sur Tea'Nhone

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Son sourire était toujours aussi doux, mais Euridice lui aurait volontiers planté un coup de talon au milieu du nez histoire de le lui faire ravaler – avec quelques-unes de ses dents, si possible.

La nouvelle de son affiliation avec le Caladrius lui pesait toujours sur l'estomac comme un sac lesté de sable.

Et qu'Annabelle... sa sœur ? Même en pensées, Euridice n'arrivait toujours pas à appréhender ce que cela signifiait dorénavant pour elles.

Elle avait toujours senti au creux d'elle-même qu'il lui manquait quelque chose et, le jour où Annabelle l'avait trouvée dans la chambre miteuse de cette petite auberge du port d'Arcandie, elle s'était enfin sentie complète. À l'époque, un an et demi en arrière, elle pensait que le lien maître-élève avait comblé ce sentiment de vide, mais elle réalisait aujourd'hui que le destin l'avait joué encore plus fine. À moins qu'elle n'ait toujours été que le pantin au bout de sa ficelle...

Ses émotions oscillaient entre la joie de s'être trouvé une famille – une vraie famille aimante - et la frustration d'où sourdait une vive colère de s'être ainsi faite manipulée, ne sachant où se poser. Elle choisit la colère. Plus jouissive et défoulatoire.

Même le vent qui venait du bord de mer sur lequel ils avaient tous atterri n'arrivait pas à apaiser son esprit.

— Si depuis tout ce temps vous aviez la possibilité divine de nous transporter jusqu'ici, pourquoi vous être contenté de rêves et d'indications fumeuses ? Pourquoi ne pas nous avoir libérés de Mhùron et de ses jeux de tortures ? Nous avons passé des mois sous son joug, nos vies sur un fil qu'il s'amusait, selon l'humeur, à couper ou entortiller autour de ses doigts. Nous avons perdu deux compagnons et certains d'entre nous portent encore les stigmates de ses amusements. Pourquoi avoir tant attendu ? Pour le spectacle ? Vous avez du bien vous amuser à nous regarder nous tordre dans notre cage.

Le Caladrius porta son regard aveugle vers elle. Même derrière leur masque de soie, ses yeux savaient toujours exactement où se poser. Ses lèvres se plissèrent un instant comme s'il voulait répliquer avec rudesse, puis un soupir s'en échappa finalement.

— Je suis un Dieu, ma fille. Mais cela ne veut pas dire que je suis tout-puissant et omniprésent en chaque chose. Plus aujourd'hui, du moins.

Quelque chose dans sa posture se relâcha, comme si un poids venait d'affaisser ses épaules. Mais lorsqu'il poursuivit, sa voix ne trembla pas, se contentant d'énumérer des faits.

— Mon vrai nom est Cal'Driuzh, je fais partie d'un des nombreux cercles inférieurs des Dieux de l'Ancien Temps. Rares sont ceux qui croient encore en moi aujourd'hui, voilà pourquoi mes pouvoirs sont limités, encore plus ici, sur Tea'Nhone. C'est également pour cette raison que je n'ai pu intervenir plus souvent. Et je m'en désole, mes gardiennes. Cela aurait pu vous éviter tant de souffrances supplémentaires.

Euridice serra d'un même geste poings et mâchoires, son corps tremblant de colère. Annabelle s'avança pour se mettre à sa hauteur. Elle sentait qu'elle aurait besoin de toute l'aide nécessaire. Elle glissa sa main dans celle, contractée, de son amie et elle la sentit se détendre. Sous son corsage élimé, battant entre ses seins comme un second cœur, Misia Lo Gaï réchauffait sa peau au point de la brûler. Elle essuya d'un revers de main, la goutte de sueur qui venait de pointer au bout de son nez. Malgré la fraîcheur de l'aube, elle souffrait de la chaleur que lui procurait la pierre. Était-ce le fait de se retrouver si proche de son propriétaire qui la faisait réagir ainsi ?

Cal'Driuzh, puisqu'il s'appelait ainsi, tendit deux paumes vers les visages de ses filles. Elles reculèrent d'un même mouvement, hors de sa portée. Il ravala la nausée qui gonflait dans son estomac depuis qu'il les avait fait atterrir sur la plage de Tea'Nhone et replaça ses mains sur ses flancs, résigné.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant