Chapitre vingt-quatre, Sept minutes au paradis

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Mhùron avait le sourire. Un sourire vrai. Heureux. Confiant. Fait qui – ceux qui fréquentaient l'homme ne le savaient que trop bien – n'était guère des plus courants.

Le roi d'Ombria était sur le point d'accomplir son vœu le plus précieux : faire plier la femme qui l'avait tant fait souffrir. Lui prendre tout ce qui était cher à ses yeux et la regarder s'enfoncer lentement, mais inéluctablement dans le désarroi.

D'abord ses fils. Ensuite son trône.

Et si dans le processus il pouvait rafler d'autres couronnes, il ne s'en priverait pas. Arcandias ne possédait plus sa grandeur d'antan. Le monde était faible, vicié. C'était à lui de lui redonner de sa splendeur, à lui d'unir les Hommes pour que, sous son règne, ils s'élèvent comme l'espèce la plus puissante de tous.

Oui, il pourrait avoir d'autres projets, plus grands, après s'être occupé de Louve Elanora Roy'Quin.

Le plus étrange était qu'il ne se souvenait pas de son visage. Seulement de ses yeux. D'un brun chaud et clair : celui des apprentis magiciens. Aujourd'hui, ils devaient être aussi noirs qu'une nuit sans lune. Avait-elle gardé cette douceur, cette candeur, cet amour de la vie qui l'avait tant séduit, à l'époque ? Non, sans doute pas. On ne menait pas le plus grand royaume humain d'une main de fer lorsque l'on distribuait des sourires et des bénédictions. Et un ennemi disparaissait rarement à grand coup de câlins gorgés d'affection. Louve Elanora Roy'Quin devait s'être endurcie et, paradoxalement, alors qu'il faisait tout pour la détruire, il l'aurait sans doute encore plus aimée aujourd'hui...

Le roi Ombrien écoutait d'une oreille distraite ce que lui disait l'un de ses vassaux du Sud à grand renfort de moulinets. Ses manches étaient si garnies de dentelles et de rubans qu'il aurait sans doute pu rhabiller une famille entière en utilisant seulement le tissu de son bras gauche.

Derrière son masque à double visage, Mhùron hocha le menton à l'attention du noble, mais cette dernière était dirigée vers la salle de bal. Sa fille n'avait pas encore daigné faire son apparition et il attendait sa présence avec impatience – et une pointe d'agacement - afin de commencer son grand discours.

Par reflexe, ses doigts se refermèrent sur la pierre suspendue autour de son cou. Comme si elle sentait, elle aussi, l'heure venir, ses pulsations s'étaient faites plus rapides, plus hiératiques comme un cœur affolé. Un caillou inerte et sans conscience pouvait-il deviner que son porteur aurait bientôt ses pleins pouvoirs en sa possession ? Où était-ce le reflet des sentiments de son propriétaire légitime ? L'oiseau de légende pouvait-il sentir à travers ce qui avait été une partie de lui qu'il appartiendrait bientôt à un nouveau maître ? Mhùron l'ignorait, mais le frisson d'expectative qui lui parcourut l'échine à ce moment-là valait toutes les interrogations du monde. Toutes les attentes du monde.

Laissant quelques minutes supplémentaires à sa retardataire de fille, il engloba la grande salle d'un regard circulaire.

Portant les conversations, la lente et douce musique des instruments à vent planait dans l'air afin d'immerger ses invités dans une ambiance festive et propice aux échanges.

La pièce rectangulaire aux larges proportions était illuminée par des sphères de verre de toutes tailles qui, accrochées à des filins presque invisibles, cascadaient du plafond et créaient une chute de lumière scintillante et tamisée. Des boiseries aux teintes nuancées, sculptées à l'image de grands arbres noueux, rythmaient l'espace entre des murs faits de miroirs, à la manière de colonnes d'ornement. Un dallage or et noir recouvrait l'intégralité du sol, le parant de centaines d'éclats chatoyants. Des serviteurs en livrée rouge passaient entre les invités afin que leurs coupes ne soient jamais vides et leurs doigts sans cesse refermés sur un met. Tous étaient plus fins les uns que les autres. Car l'opulence était de mise pour cette première soirée qui marquait le passage à l'âge adulte de la princesse d'Ombria.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant