Chapitre Trente-cinq, Ou les âmes sœurs

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***

Des voix emplissaient l'air de leurs inflexions changeantes. Tantôt cris, tantôt murmures, proches et lointains. Comme le roulis des vagues sur une plage de galets, elles allaient et venaient à mesure qu'Eleon émergeait de son inconscience. Les yeux clos, elle se laissa porter par les sons au-dessus d'elle.

« Une minute. Juste une. »

— Vania ! s'insurgea une voix féminine. Tu n'aurais pas pu la boucler ?

— Comment aurais-je pu deviner que la fille d'un tyran serait aussi impressionnable ?

— Elle est loin d'être impressionnable, répondit une seconde voix d'homme, plus calme.

— Hmmm, fit le premier peu convaincu. Pourquoi s'est-elle évanouie, alors ?

— Vous venez de l'informer que son père était mort comme on annonce que le repas est servi, imbécile.

Eleon pu presque sentir la colère du premier électriser l'air et les poils derrière sa nuque, avant qu'une voix ne lui adjoigne de se calmer le tirant sans doute en retrait. Elle n'entendait plus que leurs murmures étouffés.

— Tu ne...

Elle tentait de capter encore quelques bribes de conversation quand des bras la soulevèrent avec douceur du sol. Un point près de sa tempe droite fusa, douloureux. S'était-elle cogné la tête en tombant ? On la berça contre une large poitrine. Son nez frôla une peau qui sentait la sueur, le sang et quelque chose de plus musqué, comme le pelage d'un animal sauvage ou la fourrure d'un... loup.

« Gelt. »

Eleon n'aurait pas voulu qu'un autre la touche. Et pourtant, elle avait conscience – trop - de ne pas mériter tant d'égard, de douceur. Elle lui avait dit tant de mauvaises choses. Comment pouvait-il encore éprouver la moindre affection pour elle ?

On lui écarta une mèche du visage puis les échanges reprirent au-dessus d'elle tandis que les doigts de Gelt s'enquièrent de son pouls.

— Nous ne pouvons pas rester ici. Nous sommes à découvert. Il suffirait qu'un détachement nous tombe dessus et nous serions pris comme des rats. Raison de plus s'ils voient leur princesse dans cet état. Ils frapperont avant de poser les questions.

— Tahis et Léné s'occupent de couvrir nos arrières.

— Ce ne sera pas suffisant. Il y a des centaines de soldats.

— Dans ce cas, nous devrions nous séparer. Deux ou trois petits groupes seront plus difficiles à débusquer qu'un grand.

— Mais moins puissants.

— Non, si nous nous quittons encore, nous n'arriverons jamais à tous sortir d'ici.

— Le chaos a pris possession de la forteresse de Mhùron, sans chef, les soldats vont commencer à perdre la tête. Ils ont besoin que quelqu'un les guide et, surtout, les ôte de notre chemin.

— Alors nous avons besoin d'Eleon. Gelt, réveille-là.

— Elle a besoin d'un peu de temps, répliqua ce dernier.

— Nous n'en avons pas.

La princesse frémit. Elle aurait voulu rester ainsi des heures, des jours. Elle aurait voulu s'emmitoufler dans son manteau de peine et ne plus sortir de l'hiver qui s'était subitement abattu sur sa tête lorsque le couperet était tombé.

« ...le cadavre de Mhùron... dans l'imprimerie. »

« ...le cadavre de Mhùron... »

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant