Chapitre Quinze, Esprits frappeurs

1.5K 250 105
                                    

***

Dissimulés derrière l'une des charrettes, seules les clameurs des hommes remettant en état la caravane leur parvenaient.

Aram Doul avait encore échappé à la mort. De près. À croire qu'un Dieu, l'ayant pris en affection, ne chômait pas afin de le maintenir en vie jour après jour. Bataille après bataille.

Comme promis, il n'avait pas laissé son autre jambe aux Blëtts, mais le tissu imbibé de sang plaqué contre sa blessure à l'épaule lui rappelait que, malgré sa bonne étoile, il était loin d'être immortel. Le sang dans ses veines semblait, à mesure que les minutes passaient, se mettre à bouillir, le faisant transpirer à grosses gouttes et respirer de plus en plus péniblement. Pris de vertige, il s'assit à même le sol, aidé par Vania qui amortit sa chute avec souplesse. L'Algaël souleva le carré de coton afin d'ausculter la plaie, arrachant une grimace au commandant lorsque le sang séché resta collé aux fibres. La blessure, bien qu'impressionnante, n'était pas fatale, mais le poison jaunâtre qui en suintait et semblait ronger les chairs le serait très bientôt.

— C'est moche et ça continue d'empirer, annonça-t-il en replaçant la compresse et se tournant vers l'ogresse. C'est le moment de nous sortir votre botte secrète, mon sucre d'orge.

Elle haussa un sourcil au sobriquet, mais se contenta d'avancer vers eux, sa manche retroussée. Dégainant la dague qu'elle portait à sa ceinture, elle s'entailla la paume et présenta sa main au commandant.

— Buvez

Il plissa le nez, sa vision troublée.

— Et quoi, encore ?! Plutôt mourir d'une gangrène que de boire cette saloperie !

— Vous préférez vous transformer en créature mi-loup mi-reptile ? répliqua-t-elle d'un ton tranchant, les paupières fendues.

Les yeux écarquillés d'effroi, Aram aurait bondi sur ses jambes s'il ne s'était pas senti si vaseux et affaibli.

— QUOI ?! Ne me dites pas que ces immondes saloperies sont contagieuses ! Ce n'est...

Il s'était arrêté devant la mine amusée de Vania. Lorsque l'Algaël riait, c'était bien trop souvent à ses dépens, pour qu'il ne se méfie pas de son air facétieux.

— De l'humour, donc ?

Sans répondre, l'ogresse roula de grands yeux, avant de lui coller, de force, sa paume sur les lèvres. Il voulut s'écarter, mais la voix impérieuse de sa reine l'obligea à déglutir. Elle avait besoin de lui vivant, et son cadavre lui serrait moins utile, même une épée à la main.

— Je ne savais pas que le sang d'ogre avait de telles vertus, s'étonna-t-elle, observant l'ogresse d'un nouvel œil.

— Pourquoi pensez-vous que nous sommes si peu nombreux encore en vie ?

Aram but encore quelques gorgées, avant d'enfin se dégager. Du sang avait coulé de la commissure de ses lèvres, colorant sa moustache et sa barbe si blanche. Il s'essuya la bouche, tandis que l'ogresse se redressait et pansait sa plaie à l'aide d'un bout de toile déchiré.

— Je pensais que c'était parce que la plupart des vôtres s'étaient noyés, continua la reine d'une voix teintée d'agacement devant le mutisme et le peu d'égard de l'ogresse. Il est de notoriété publique que les ogres...

— ... sont stupides, sentent mauvais, ne savent pas compter de deux en deux et frappent avant de poser les questions ? Il paraît. Mais ils savent surtout inventer des histoires afin de garder leurs secrets et prévenir l'extinction de leur race.

Bras croisés sur sa large poitrine, elle jaugea d'un œil vif et colérique l'ensemble des membres du cercle qui s'était formé autour du commandant des Lames. La reine, Vania et le mercenaire lui faisaient face. Flottant derrière comme une voile de navire désincarnée, le spectre posa une main sur son épaule. Elle frissonna, sans, toutefois, se dégager.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant