Chapitre Huit, Trois aiguilles dans une boite d'aiguilles

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Il n'arrêtait pas de piailler.

Lors de leur rencontre, Aram n'avait pas tout de suite apprécié Euridice, mais cette dernière, avec son caractère de cochon sauvage et sa langue acérée, avait au moins le mérite de choisir soigneusement ses mots et de ne jamais parler dans le vide. Vania, à l'inverse, jacassait sans discontinuer, à tort et à travers. Déversant de sous sa moustache blonde, un flot incessant, oscillant entre banalités et jeux d'esprit. Desquels Aram était, à son grand désespoir, bien souvent la cible. Le pauvre commandant en avait presque les oreilles qui saignaient.

Sur son côté, son sabre le démangeait, avide de silence. Mais il s'évertuait au calme, préférant garder en vie et en un seul morceau, le maître voleur qui leur permettrait de pénétrer dans le fief de Mhùron.

Car là était le nouveau plan, depuis que l'Algaël avait démoli d'un coup de botte leur fol espoir d'envoyer une armée des siens, à l'assaut du château Ombrien. Une armée centralienne n'était pas non plus envisageable : Silla y était préparé et un siège serait vain s'il décidait de tuer ses précieux otages. De plus, s'il avait déjà trouvé un moyen d'utiliser la Pierre et son puisant pouvoir de fascination, lui mettre une armée entière entre les mains, n'était pas des plus stratège.

Non, décidément, les Algaëls auraient été une merveilleuse alternative, mais Vania lui avait juré que si la guilde était mise au courant, elle ferait tout pour récupérer Misia Lo Gaï et faire taire tous ceux qui en avaient eu vent. Définitivement, et sans distinction de sang. Qu'il soit rouge ou bleu.

Aram ne comprenait pas bien pourquoi le fait que l'un des leurs ait joué en solo les aurait tant dérangés, mais ce qui était certain, c'est qu'il ne risquerait pas la vie des deux héritiers centraliens qu'il avait juré de protéger, pour un simple doute.

La reine Louve en était venue aux mêmes conclusions et ils avaient décidé, d'un commun d'accord, qu'il serait trop dangereux de mettre la guilde des Algaëls au courant de cette histoire. Par la suite, le commandant avait dû batailler pendant des heures afin de convaincre la reine de ne pas les accompagner et que seul lui et Vania partiraient sous couverture, en mission de sauvetage. Une garde supplémentaire n'était pas non plus utile : les derniers hommes que le commandant avait pris avec lui, bouffaient depuis longtemps les pissenlits par la racine.

Louve était donc restée à Arcandie. Elle avait conscience que son Royaume, vérolé par la Mort Rouge, était à peine en train de se remettre des raids de Mhùron qui avaient ravagé le Nord du Continent quelques mois plus tôt, et qu'il avait besoin d'une tête couronnée sur le trône, mais ses instincts maternels étaient si puissants, qu'elle avait dû se faire violence. Aram soupçonnait ses gênes de loup-garou de prendre le dessus sur sa raison lorsque les siens étaient en danger.

— Pensez-vous que si un animal vous dit qu'il a le don de parole, il ment ? demanda soudain Vania en faisant rouler la pointe de sa moustache entre son pouce et son index.

Et c'était reparti !

Décidément, l'irritant Algaël, n'avait pas fini de lui mettre des cailloux dans les bottes. Le commandant se demanda presque si cette façon volubile de parler et de se mouvoir, n'étaient pas un moyen de cacher son véritable visage. Une personnalité plus sombre et plus dangereuse. Mais un coup d'oeil au franc et rayonnant sourire de Vania, fit s'évanouir ses doutes. Non, on ne pouvait pas jouer à ce point.

Bougonnant dans sa barbe blanche, Aram fit claquer les rennes de sa roulotte et les deux canassons croulants que Vania leur avait dégotté allongèrent le pas. Un peu.

Encore une autre de ses idées saugrenues.

Lorsque le commandant des Lames Rouges lui avait demandé de leur trouver des montures, deux jours plus tôt, il n'avait pas pensé à la possibilité que l'excentrique Algaël les ferait voyager dans une charrette plus vieille que sa grand-mère, tirée par deux bêtes qui avaient connu des jours bien meilleurs et qui ne semblaient pas savoir ce que « trottiner » voulait dire. La cerise sur cette immense farce était qu'ils voyageraient au beau milieu d'une longue caravane de marchands itinérants se rendant au Nord-Ouest du Royaume pour la grande foire bi-annuelle des vins et spiritueux.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant