Chapitre quarante-trois, Là où mon cœur t'emmène

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— Non, s'entendit-il dire de tellement loin qu'un instant il douta que sa propre voix lui appartienne.

— Non ? répéta la déesse, son souffle s'insinuant entre ses lèvres.

— Je ne peux pas.

Léné plaça ses paumes sur ses épaules nues et la repoussa. Accompagnant son geste, Vanyre bascula sur le flanc et une main glissée sous sa tête l'observa avec curiosité. Il se redressa sur les coudes, sa chemise délacée s'ouvrait sur ses clavicules et la fine couche de poils bruns qui tissait son torse. La Déesse y fit glisser ses doigts comme s'ils étaient les jambes d'un bonhomme de chair. Arrivés à son menton, elle l'obligea à tourner la tête vers elle. Vanyre voulait garder une emprise sur ses yeux – et sur son âme.

— Pourquoi ?

— Je... je sens que c'est mal.

L'infime douleur qui pinçait son cœur le fit poursuivre :

— Je ne peux pas lui faire ça. Pas à nouveau.

— Ton Annabelle ?

Il hocha la tête et la main de Vanyre caressa l'angle de sa mâchoire.

— Pourquoi elle ?

Léné parut surpris par la question de la Déesse ; plus encore par la réponse qu'il lui donna sans réfléchir :

— Elle me rend moins imparfait.

Elle acquiesça en silence comme si elle comprenait exactement ce qu'il entendait par là. Puis Léné se leva, enjambant les coussins et les couvertures qui recouvraient le sol. Il semblait soudain aussi pressé qu'un amant surpris.

— Je dois partir.

Vanyre l'observa avec un indescriptible sourire tandis qu'il ramassait son frac de serviteur pour l'enfiler à la hâte.

— Tu pars sans ce que tu étais venu chercher ?

Le bras déjà passé au travers des voilages diaphanes qui délimitaient le kiosque, Léné, suspendit son geste.

S'il repartait sans le sang de Vanyre, c'est l'aboutissement de leur quête qu'il mettait en danger. Mais s'il restait et qu'elle le lui offrait, ce serait en échange d'une chose qu'il s'était promis de garder à jamais pour Annabelle.

La Sombre Déesse attendit qu'il réponde, piochant une nectarine dans l'une des coupes mises à disposition sous la tonnelle. Ses prunelles sanglantes brillèrent par-dessus le fruit, lorsqu'elle mordit dedans. Du jus s'échappa de la commissure de ses lèvres, dévala son menton pointu, cascada sur l'un de ses seins et finit par se perdre dans son décolleté. Tout en elle était un appel à la luxure. Et il le ressentait d'autant plus que sa seule présence électrisait sa peau.

Les doigts de Léné se crispèrent sur le fin voilage et sa pomme d'Adam tressaillit lorsqu'il avala sa salive avec difficulté.

— Ne faites pas ça, chuchota-t-il si bas que seul un immortel aurait pu l'entendre.

— Je ne fais rien, mon enfant. Ton corps réclame le mien. Mais c'est dans l'ordre des choses. Je suis ton Originelle. Tu me veux parce que mon sang t'appelle. Il n'a pas besoin d'être dans ta gorge pour ça. Imagine ce qu'il pourrait donner en glissant sur ta langue. (Vanyre suçota le noyau de sa nectarine sans quitter son sourire.) Certains de mes amants en sont presque devenus fous.

Un tic fit saillir l'os de la mâchoire du vampire. Soufflant par le nez, il prit sa décision en un éclair et traversa le rideau satiné.

Lorsque les larges enjambées de Léné s'arrêtèrent enfin, il lança son poing dans l'une des colonnes qui marquaient le sentier pavé qu'il empruntait à travers les arbres. Le choc craquela la pierre comme une terre mangée par la sécheresse. Il laissa sa main pendre le long de son flanc tandis que le trou qu'il avait fait lui renvoyait sa grimace de fureur. Puis un sentiment indéfinissable s'empara soudain de lui, gonflant dans sa gorge, griffant son visage. Il posa son front sur la colonne et ferma les yeux. Il resta quelques secondes pantelant, incapable de mettre des mots sur ce vide. Était-ce parce qu'il avait échoué dans sa mission ? Était-ce parce qu'il avait été incapable d'aller jusqu'au bout et de coucher avec Vanyre ? Ou était-ce la raison même de son impuissance qui le secouait à ce point ?

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant