Chapitre Quarante-huit (Bis), Tirer sa révérence

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La petite chatte noire s'empêtra soudain dans la chaîne, tituba, faillit lâcher la clef qu'elle maintenait ferrée entre ses crocs, mais poursuivit sa route. Déterminée.

Misia Lo Gaï l'accompagnait, rebondissant sur son dos, lui cognant les côtes. Mais la douleur physique n'était rien. Rien en comparaison de ce qui déchirait son âme.

Une terreur qui ne l'avait jamais vraiment quittée : l'abandon.

Ses yeux de félin, accoutumés à la pénombre, brillaient dans l'obscurité du tunnel, trouvant sans problème une piste que l'humaine n'aurait jamais pu remonter.

Elle haletait afin de réguler la chaleur croissante que sa course exerçait sur ses muscles. Humaine, son corps aurait été recouvert d'une pellicule de sueur, en tant que félin, il s'adaptait à l'effort par un autre mécanisme.

Elle aperçut enfin un bout de la grille. Il était temps de quitter sa fourrure.

Le bond spectaculaire que fit la chatte se termina par le roulé-boulé d'Annabelle. La Pierre avait retrouvé sa place à son cou. L'apprentie avait depuis longtemps compris que le bijou possédait une sorte de conscience, une volonté qui lui était propre – sans doute une prolongation, bien qu'amoindrie, de la personnalité de Cal'Driuzh. Ce ne pouvait être seulement dû au hasard si, malgré ses transformations, Misia Lo Gaï n'avait pas quitté le carré de peau qui gainait son cœur.

Elle était chaude au touché. Ses reflets ondulaient plus vite comme si elle savait d'avance quelle serait la conclusion de son aventure.

Annabelle recracha la clef dans sa paume.

Le tunnel se finissait en coudée sur la grille. Elle ne voyait donc pas ce qui se déroulait dans la citerne, mais elle entendait. Le rugissement d'une tempête emplit ses tympans. Des cris de rages, des objets brisés, fracassés.

Une bouffée de terreur s'empara d'elle, la faisant vaciller.

Annabelle fit un pas tremblant. Un autre. Les contours de la clef déposaient leur empreinte dans son poing contracté. Sa salive se fit cendre. Son cœur tambourina contre sa cage d'os et de sang.

Annabelle savait qu'elle aurait dû courir, se précipiter sur la grille, mais elle en était incapable, figée par une crainte sourde.

Elle avait l'impression de se déplacer sur un tapis de braises. Chaque pas lui faisait mal, lui faisait peur. Qu'allait-elle trouver si elle avançait encore ? Si elle contournait la saillie rocheuse et qu'elle regardait à travers les barreaux de la grille ?

Son pied droit se leva ; c'était le dernier pas.

On la fit reculer, la plaquant contre la paroi.

Léné glissa ses doigts derrière sa nuque, lui redressa la tête, plongea ses yeux inquiets dans les siens.

Elle aurait voulu lui hurler dessus.

« Pourquoi ne me laisses-tu pas y aller ? Ils ont besoin de nous ! »

Mais elle se sentait vidée. Si près du but, elle cherchait la force pour regarder à travers les barreaux.

À côté d'eux se tenait Gelt. Il s'était installé en retrait, le regard rivé sur la roche afin d'éviter de croiser la nudité de sa sœur.

Le pouce de Léné lui caressa la joue. Allait-il tenter de l'arrêter ?

Le vampire se détacha d'elle sans un mot, retira son frac noir, déboutonna son gilet croisé, les laissant tomber au sol. Puis il délaça le col à cordon de sa chemise, la passa par-dessus sa tête et finit par l'enfiler à l'apprentie Algaël, qui se laissa faire sans un mot. Il se rhabilla du gilet et du manteau.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant