Chapitre Dix, Marga

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***

Marga Dell'Garh avait toujours été une fille mondaine. Une rose parmi les pissenlits. Continuellement à la pointe des modes éphémères de la cour, sans cesse aux premières loges des spectacles les plus en vue et constamment au fait des derniers potins courtisans. Une femme que l'on avait élevée pendant vingt ans, afin qu'elle devienne Reine. Qui, à l'instar des enfants princiers, n'était en rien étrangère aux arcanes de la diplomatie et des complots politiques. Son père - l'un des Haut-Conseillers de la reine Louve Elanora Roy'Quin - s'était assuré qu'elle reçût l'éducation adéquate, juste au cas où... Juste au cas où Tillian n'aurait pas eu à épouser la princesse Ombrienne à laquelle il était promis depuis le jour de sa naissance.

Marga était née sous la lumière. Aujourd'hui, elle côtoyait les ombres. S'en était cousu un manteau doux et accueillant qu'elle ne paraissait plus quitter.

Elle écoutait les murmures, les non-dits. Se faisait discrète afin d'assister à tout ce à quoi on ne la conviait pas. Tout ce qui n'aurait pas dû atteindre ses oreilles indiscrètes.

Silla Mhùron ne se doutait pas qu'il n'y avait plus une seule information dans tout le château qui n'arrivait pas jusqu'à elle. Que cette dernière s'était créé un large réseau de petites souris, qui lui rapportaient tout ce qu'elle avait à connaître. Des serviteurs conciliants et manipulables qu'elle avait mis dans sa poche à force de petites attentions et de faveurs. Car tout s'achetait. Même la fidélité.

Elle n'avait pas eu à faire beaucoup d'efforts, après tout, elle était la favorite du maître.

Marga serra les dents.

Sa favorite... ? Non, plus depuis qu'il avait pris dans son lit, près d'un mois plus tôt, cette chienne de rousse qui avait eu la bonne idée de tomber enceinte et d'ainsi, offrir au seigneur Mhùron ce qu'il attendait tant depuis des années : un second héritier. Le roi souhaitait étendre son sang et faire en sorte que nulle lignée en ce monde ne soit plus affiliée à la sienne. Qu'il engendre des bâtards, ne le dérangeait en rien, il les reconnaîtrait à la naissance, leur donnant ainsi, toute légitimité à régner.

Dans le cœur de la petite brune aux yeux marine, quelque chose se pinça.

Si seulement elle avait pu, lors de leurs nombreuses nuits ensemble, porter dans son ventre un enfant ; peut-être aurait-elle pu garder l'attention et les faveurs de son roi ? Mais elle était désespérément restée stérile. Elle avait d'abord cru que le problème venait de Silla, mais s'était vite rendu compte qu'elle était la seule fautive dans l'histoire. Alors qu'Euridice...

La colère montait peu à peu en elle à mesure que ses jambes accéléraient le pas, parcourant le parc, les yeux à la recherche de cette chevelure si caractéristique.

Elle resserra le col montant de son long manteau en jacquard bleu brodé d'argent, doublé de lapin et frissonna.

L'hiver n'était pas encore à leur porte, mais le froid matinal se faisait de plus en plus vif à mesure que les jours passaient et raccourcissaient. Bientôt, les cols seraient enneigés et l'unique route menant au château, presque impraticable, transformant l'endroit en véritable forteresse. Les dernières récoltes étaient, de ce fait, en train d'être stockées dans d'immenses greniers à l'abri des intempéries et des parasites.

L'une de ses mains descendit jusque dans sa poche et ses doigts caressèrent le verre délicat d'une petite fiole. Elle était là, sa solution. Elle...

Alors qu'elle continuait sa route, le menton enfoncé dans la douce chaleur de son col fourré et la tête pleine d'un plan qui éclaircirait à coup sûr son avenir, une main se posa sur son épaule. Elle se retourna d'un bloc, les yeux écarquillés, prête à hurler et à se cabrer au cas où son assaillant n'aurait pas eu d'intentions amicales à son encontre. Mais son cœur affolé se calma soudain lorsque deux yeux d'un noir d'encre pétillèrent de sa frayeur.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant