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Si l'on avait dit un jour à Tillian qu'il trouverait du réconfort dans une activité aussi simple et primitive que le jardinage, il aurait ri au nez de celui qui avait eu l'impudence d'avancer de telles imbécillités. Il l'aurait peut-être même fait enfermer un ou deux jours dans l'un de ses donjons, histoire de lui apprendre à tenir sa langue. Mais Tillian avait grandi. Il n'était plus le petit prince vaniteux qui pensait plus à retrousser des jupons qu'aux besoins de son peuple. Et il avait trouvé en cette activité rudimentaire, un exutoire. Car même s'il s'était très nettement assagi, il sentait encore en lui, formant une boule lourde et compacte au creux de son estomac, sa colère et son impétuosité. Comme son frère, depuis qu'il était coupé de sa magie, il percevait les grondements de son loup qui tournait en rond dans cette caverne sombre dans laquelle il était reclus et entravé. À moins d'une semaine d'une nouvelle pleine lune, il avait besoin de se changer les idées. Encore un mois sans pouvoir se transformer et il deviendrait complètement dingue.
Prenant la petite bêche à deux mains, il gratta avec énergie la terre durcie par le froid de la nuit précédente, déracinant les mauvaises herbes et y creusant de larges rigoles. Malgré le vent qui soufflait, ébouriffant ses cheveux et rougissant son nez, il avait le visage humide de transpiration. Passant une main sous son nez, il renifla bruyamment et reprit son labeur. Ce n'était pas une saison idéale pour les semis et les plantations, mais Tillian avait trouvé en cuisine quelques tubercules et racines qui supporteraient très bien de passer l'hiver en terre. Il piocha l'une des échalotes dans le panier que lui avait fourni la vieille cuisinière et l'enfouit dans la terre avant d'en recouvrir le bulbe.
— Qui aurait cru, un beau jour, voir l'héritier centralien - aussi imbu et égoïste qu'il soit - accroupi dans la boue, le visage recouvert d'humus, retourner la terre de ses mains ? demanda-t-on dans son dos. Eh bien... certainement pas moi.
Pour la forme, Tillian jeta un coup d'œil derrière lui, mais il savait déjà que la bouche en cœur qui venait de parler d'un aussi froid qu'ironique, appartenait à Marga.
Il lui adressa un sourire contrit.
— Un coup de main ne serait pas de refus, fit-il en retournant à son travail.
— Et salir cette si belle robe ?
Tillian laissa retomber sa bêche sur le parterre et tourna une nouvelle fois la tête vers son ancienne amante.
La jeune femme avait relevé ses longs cheveux bruns en un chignon dans lequel des chaînes en argent s'entremêlaient aux mèches, formant un réseau gracieux et scintillant. Sa robe, d'un bleu si sombre qu'il en semblait presque noir, moulait son corps mince du cou à la pointe de ses bottines vernies, modelant ses hanches fines et ses bras jusqu'aux poignets. Bien que sage, la coupe n'en était pas moins provocante, lui faisant comme une seconde peau, tant le velours était ajusté. Sur ses épaules, une fourrure de loup gris attachée par une broche de saphir la protégeait du vent. Ses joues étaient rosies par le froid.
La voir ainsi le ramena presque un an plus tôt, lorsque Marga, pleine de vie et d'innocence lui avait demandé s'il l'aimait tandis que, de ses lèvres une buée glacée s'échappait en fines volutes. Ce jour-là, s'il n'avait pas pensé à ses petits désirs égoïstes. S'il s'était préoccupé des sentiments de la jeune femme, peut-être que toute cette histoire n'aurait pas fini ainsi. Peut-être qu'elle serait restée la douce, la si jolie Marga avec sa peau de rose et son sourire timide.
Le sortant de ses pensées, elle tourna sur elle-même, lui donnant une vision d'ensemble de sa tenue.
— Tu es très belle, Marga.
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La PIERRE de SANG tome 2
FantasyAnnabelle, Euridice et leurs compagnons de quête ne l'ont pas vu venir... Tombés dans le piège que leur a tendu Silla Mhùron, ils tenteront l'impossible pour s'évader. Ils n'ont qu'un seul objectif : survivre afin que Misia Lo Gaï ne reste pas entre...