La PIERRE de SANG tome 2

Chapitre vingt, Petite Mort

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— Mais tu es fou ?!

L'exclamation contrariée et choquée résonna entre les quatre murs de la réserve aussi fort qu'un cor signalant le début de la chasse. Les trois cœurs battants qui s'y trouvaient cavalèrent comme des biches blessées, acculées par des limiers. La voix retentit pendant d'interminables secondes sur les murs de pierre pendant que, figés par la peur d'être découverts, ils restaient immobiles, leurs trois visages seulement éclairés par une petite lampe à huile posée entre eux. La flamme dansante faisait se mouvoir des ombres sur leurs traits tirés et fatigués, en un étrange mélange de clair-obscur. Lorsque le silence reprit ses droits dans le discret renfoncement dans lequel ils s'étaient installés, Tillian laissa échapper un soupir de soulagement pendant que son frère le fixait la mine réprobatrice. Ce n'était pas le moment de se faire prendre bêtement par des serviteurs à l'oreille trop fine. La situation était trop importante pour prendre le moindre risque de se faire débusquer.

— C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour me débarrasser de mon dispositif ! chuchota-t-il avec force, mettant dans sa voix toute sa volonté à défaut de pouvoir y mettre plus de puissance. Tu as été témoin de la résurrection de Syssana et tu as entendu ce que nous a confirmé Annabelle. Le seul moyen de se défaire de nos hörrs est de mourir. Et c'est ce que je compte faire.

— C'est stupide ! s'exclama Tillian sur le même ton.

— Non, c'est très malin. Et c'est notre seule chance.

Tillian tenta de réfléchir, mais un mal de tête dû au manque de sommeil lui martelait les tempes. Il baissa les yeux sur l'objet qu'il avait entre les mains et parcourut le métal doré du pouce comme une caresse. De forme ovale, gravé de runes chargées de pouvoir et percé en son cœur d'un cristal pas plus grand qu'un pouce, le hörr étincelait à la manière d'une pièce de monnaie sous la lumière agonisante de la flamme. Comment un si petit outil - inerte et inoffensif entre ses doigts - avait pu s'avérer si inviolable et cruellement mortel ? Le hörr de l'aküanide était resté inactif depuis qu'il avait quitté sa poitrine, son cristal déserté de la lueur de la magie qui animait encore ceux de Gelt et Tillian. Grâce à ce petit miracle, l'un de leurs compagnons était sans entrave. L'un d'eux n'était plus sous la coupe et la surveillance permanente de la magie de Silla Mhùron.

Un compagnon.

Cela aurait pu suffire à inverser la tendance si Syssana avait été une guerrière. Si elle avait su manier les armes comme le reste de la troupe. S'il avait s'agit de n'importe lequel d'entre eux, la situation aurait pu immédiatement s'inverser. Libéré de son dispositif, un immortel comme Tahis ou un puissant magicien comme Tillian aurait pu s'approcher assez du maître d'Ombria pour l'assassiner. Mais cela faisait beaucoup de « si », et les Dieux étaient des enfants cruels qui ne voulaient pas d'un dénouement trop facile. Pourquoi gâcher si vite leur plaisir ? Autant le faire durer et créer de nouveaux rebondissements...

Le prince soupira et Gelt en profita pour reprendre, tentant de convaincre un homme qui passait sa vie à convaincre les autres :

— Tu veux passer le reste de ta vie prisonnier d'un tyran ? Tu veux épouser sa fille et le laisser asseoir sagement son pouvoir sur un Royaume que tu as promis de protéger ?

Tillian grogna.

— Non, bien sûr que non. Pour qui me prends-tu ? Mais ce n'est toujours pas une bonne idée pour autant.

À côté d'eux, silencieuse, mais attentive, Syssana observait ses deux visages qui se faisaient face dans la pénombre, aussi identiques que leurs idées étaient différentes.