Chapitre Trente-huit (Ter), Et la magicienne Veritas

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La première chose qu'elle sentit – sans pouvoir la voir – fut des tentacules timides qui rampèrent hors du trou et fouettèrent l'air comme pour tâter l'atmosphère moite de la salle souterraine, chargée d'une odeur entêtante de putréfaction. Elles rampèrent sur le sol humide, levant leurs têtes curieuses pour venir se tortiller et siffler aux pieds de Louve comme un nid de serpents domestiques.

Louve serra plus fort les mains de ses deux compagnons. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'il se passait, mais la soudaine tension de leur compagne leur fit tourner la tête vers elle.

— Elle est là, souffla-t-elle comme si l'air lui manquait soudain.

— « Elle » ? demanda Eleon étonnée.

La suite resta coincée dans la gorge de la reine centralienne tandis qu'elle fermait les yeux, les incitant à l'imiter.

Les serpents glissèrent sur ses pieds nus et elle fit un colossal effort de volonté pour ne pas rouvrir paupières et se dégager. Ce contact avait quelque chose de trop réel. Elle pouvait sentir une peau froide, lisse et reptilienne se lover dans la chaleur que dégageait son corps de mammifère.

La magie qui avait créé la Mort Rouge reconnaissait son pouvoir. Elle caressait la peau de ses chevilles, goûtant le doux nectar du don de la magicienne Veritas. Les serpents sifflèrent dans sa tête et son loup passa un bout de museau hors de la caverne qu'il n'avait jamais été en mesure de quitter. Il renifla l'air curieux tandis qu'une goutte de sueur dévalait la tempe de son humaine.

Louve réprima un frisson.

Tout son être se battait contre le sentiment de répulsion qui l'avait assailli à l'instant où la magie noire l'avait touchée. Pourtant, c'est exactement ce qu'elle était censée faire : la toucher et l'aspirer afin qu'il n'en reste plus qu'un lointain et sombre souvenir. Alors pourquoi n'arrivait-elle pas à la siphonner ? Pourquoi luttait-elle bec et ongle, pour repousser le contact visqueux ?

Son loup renifla l'air et posa une patte à l'orée de sa caverne de chair. Les paupières de la reine s'ouvrirent soudain. L'iris noir de ses yeux s'était embrasé d'une teinte fauve.

Que se passait-il ? Que faisaient les tentacules de magie ? Pourquoi attiraient-ils son loup ? C'était impossible. Louve n'était pas une lycanthrope, elle n'avait hérité de ses deux parents que d'une queue de loup et du gène qu'elle avait transmis à ses fils, leur permettant de se transformer lorsqu'ils avaient été tous deux mordus.

Elle cria. Parce que ses entrailles étaient en train de se déchirer et parce qu'elle refusait de capituler si facilement. Sur ses flancs, ses deux compagnons avaient gardé leurs yeux clos. Leurs visages étaient concentrés et leurs cheveux moites.

« As-tu peur de nous ? sifflèrent les voix dans sa tête ? Nous voyons que oui. »

Avait-elle peur ? Non. Elle était terrifiée.

Elle avait pu observer la Mort Rouge et ses ravages de près. Elle avait vu la maladie grignoter peu à peu la force de son époux pour ne laisser sur sa carcasse décharnée qu'une ombre d'homme, mangé par une gangrène rouge et purulente. Elle avait été saisie par la vision de ces hommes et de ces femmes auprès desquels elle avait grandi, vomir du sang, pisser du sang, se noyer dans leur propre souffre trop court et trop rauque. Leurs voix de verre brisé lacérant leurs gorges à vif.

« Nous n'avons jamais vu de magie comme la tienne. Nous pourrions t'apprendre à l'utiliser à son plein potentiel. Tu serais si puissante. »

Non. La reine refusait que cela recommence. Elle refusait que la Mort Rouge pose encore ses tentacules maudits sur elle ou sur les siens.

Louve lança une brusque lame de magie sur les tentacules qui grimpaient désormais le long de sa robe. Elles sifflèrent de rage et de douleur comme les serpents qu'elles incarnaient et se rétractèrent sur le sol.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant