Chapitre Quarante et un (bis), Et la jolie Déesse

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Annabelle fut sortie de son sommeil comme on crève une bulle de savon. Ses yeux s'ouvrirent à l'instant où le sort de Gelt éclata. La souffrance qu'il avait contenue déferla sous sa chair comme une vague immense, à l'instar de celle qui avait emporté leurs trois compagnons.

Elle ramena ses jambes contre elle et les encadra de ses bras sentant déjà des larmes lestées de désespoir mouiller l'oreiller sous sa tête. Son premier sanglot alerta immédiatement Euridice, qui se dirigea vers le lit.

Tininä, comment te sens-tu ? demanda-t-elle d'une voix douce en s'asseyant près d'elle.

Annabelle ne répondit rien. Elle en était incapable. Sa gorge était recouverte de chaux vive et ses lèvres cousues entre-elles. Sa voix ne réussissait qu'à moduler des sanglots sourds.

Tininä, répéta Euridice comme pour se rassurer elle-même.

Une main se posa sur son épaule. Concentrée sur Annabelle, elle n'y fit pas attention.

— Laisse-lui du temps.

— Nous n'en avons pas, Tahis.

Un soupir lui répondit, puis une voix dans laquelle pesait une possibilité bien trop pénible à supporter.

— Si c'était toi, toi et l'enfant, qui aviez été emportés par la vague, je serais probablement dans le même état.

Cette fois, Euridice leva les yeux. L'amour qu'elle voyait briller dans ses prunelles ne mentait pas. On ne l'avait jamais aimée comme Tahis et, même si son premier réflexe était de repousser une telle affection, elle commençait à comprendre ce qu'elle signifiait. Elle commençait à l'accepter.

Les doigts de l'elfe pressèrent son épaule. Elle posa sa main sur la sienne et lui rendit son geste de réconfort.

— Allezvousen, marmonna-t-on près d'eux.

Ils reportèrent leur attention sur Annabelle dont les yeux brillants n'étaient pas seulement dus aux larmes. Trop heureuse de voir que sa petite sœur réagissait enfin, Euridice ne vit pas l'avertissement et elle tendit une main caressante vers elle. Annabelle se rétracta comme un animal acculé et la chassa d'un revers.

— Allez-vous-en ! cria-t-elle en collant son dos au mur.

Trop choquée pour réagir, Euridice resta immobile jusqu'à ce que Tahis la redresse et la tire en arrière.

— Le sort s'est rompu. Elle a besoin de repos et de solitude.

— Mais...

— Viens. Tu as aussi besoin de te reposer avant que Gelt et Martial ne reviennent.

À force de persuasion, l'elfe réussit enfin à éloigner Euridice du lit et ils laissèrent Annabelle en tête à tête avec son chagrin.

Eyvie ouvrit son sac de toile et en sortit plusieurs miches et jambons secs. Elle les distribua et ils commencèrent à manger en silence tandis que Cal'Driuzh se plongeait dans la lecture d'un ouvrage plus épais que son avant-bras.

Il n'avait jamais imaginé que la prophétie pourrait se développer autrement que comme elle avait été écrite et qu'il pourrait exister une voie dont il ignorait tout. Cela faisait deux millénaires qu'il attendait ce moment, celui qui le libérerait de sa prison et lui rendrait ses pouvoirs déclinants. S'il avait usé de la plume de Myssenlyos et ainsi mis sa vie en danger, c'est parce qu'il avait été certain d'être enfin arrivé au bout de cette longue attente. S'il manquait un vampire au rituel, si l'une de ses gardiennes se présentait à lui sans son Hérault, il devrait trouver comment le remplacer. Ou mieux, comment s'en passer. Il devait forcément y avoir quelque chose là-dessus. Il devait forcément avoir loupé un passage, une citation. Il se contenterait même de la plus petite évocation.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant