Chapitre Dix-neuf, Ou la certitude qu'il ne faut pas contrarier une future mère

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Allongée sur un large banc de pierre, le corps recouvert d'une épaisse couverture de laine afin de ne pas sentir la morsure du froid, Annabelle écoutait – attentive - des battements de cœur. Son ouïe affinée par son don pouvait en distinguer deux. L'un était puissant et régulier, l'autre était plus ténu, mais galopait à la vitesse d'un cheval fougueux. Malgré son hörr qui l'empêchait d'utiliser sa magie d'Algaël à sa pleine puissance, elle gardait cet instinct félin et les réflexes acquis lorsqu'elle était entrée dans la guilde ; ils faisaient, sans doute, trop partie d'elle pour que la machine ne lui entrave en totalité. À quelques mètres au-dessus de sa tête, les branches d'un marronnier faisaient bruisser doucement ses feuilles et ses bogues, jouant avec la bise et dansant avec les rayons de soleil qui apparaissaient par taches lumineuses sur la peau de la jeune femme, réchauffant son corps immobile.

Annabelle se sentait apaisée. Elle ne l'avait pas été depuis de longues semaines et elle voulait que cet instant de paix reste gravé dans sa mémoire. Elle ferma les yeux et écouta plus attentivement les battements qui se mêlaient, en un roulement hypnotique et reposant, à sa respiration régulière.

Une main vint se poser sur sa tête, lui caressant doucement les cheveux et entremêlant entre ses doigts ses boucles blondes. Le léger renflement qu'elle sentait sous sa joue était encore invisible à l'œil nu, mais l'apprentie Algaël savait qu'il renfermait un trésor. La promesse d'un avenir moins sombre.

— Comment vas-tu l'appeler ? demanda-t-elle, un sourire bienheureux illuminant son visage.

Au-dessus d'elle, Euridice souffla. Annabelle ne pouvait pas la voir, mais elle savait que le nez de son amie était froncé dans un mélange d'exaspération et d'ennui.

— On en a déjà parlé, Anna. Je ne veux pas lui donner de nom. Ce serait...

— ... Trop réel ? demanda-t-elle, finissant la phrase de son mentor et se redressant.

Les sourcils froncés, elle mit dans son expression toute la réprobation qu'elle ressentait, mais qu'elle avait gardée pour elle jusque-là.

— Ne me regarde pas comme ça, gronda Euridice. Ce n'est pas parce que j'ai accepté de garder le bébé que je suis prête à lui donner un nom. Tu le sais.

— Et qu'en pense Tahis ?

— Tahis ? Qu'a-t-il à voir là-dedans ?

Annabelle leva les yeux au ciel. Au-dessus d'elle, les nuages s'amoncelaient, annonçant l'orage.

— Bah... Bande-toi les yeux, voile-toi la face tant que tu veux. Tu sais très bien ce que je veux dire.

— Mmmf.

Annabelle se rallongea dans sa position initiale : la tête posée entre le ventre et l'aine d'Euridice. Elles restèrent un long moment immobiles et silencieuses avant qu'Euridice ne craque.

— Je m'ennuie​.

— Tiens donc... Moi qui pensais que, pour un Algaël, la patience était une clef qui ouvrait toutes les portes...

— Tu as fini de retourner tous mes enseignements contre moi, saleté ?

Annabelle ouvrit la bouche, d'articulant une nouvelle répartie bien sentie, mais ne laissa échapper qu'un couinement pitoyable lorsque la jeune rousse la poussa de ses deux mains, la faisant basculer par-dessus le banc. Enroulée et prisonnière de la couverture, elle s'empêtra dedans et roula dans l'herbe fraîche. Se redressant, elle moulina bravement des bras afin de sortir de sa prison de laine tandis qu'Euridice riait aux éclats, les mains pressées sur son ventre tant ses côtes étaient contractées par son hilarité.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant