Chapitre Dix-sept, Diversion et autres stratégies conjugales

1.1K 248 93
                                    

***

Léné ouvrit la porte de la chambre qu'il occupait dans le quartier des gradés et la referma d'un coup sec du talon. Un instant, il resta le dos contre le battant, pinçant l'arrête de son nez comme il le faisait souvent par réflexe lorsqu'il était agacé. Quittant son visage, ses doigts s'unirent soudain pour s'abattre avec violence sur le bois de la porte qui gémit sous le choc. Non, il n'était pas agacé, il était furieux ! Fou de rage et d'impuissance. À la fois empli de colère, et vide de tout.

Sans accorder un regard au trou qui ornait désormais la porte, il s'avança à grandes enjambées. Il retira son manteau long qu'il jeta négligemment au sol et traversa la petite pièce, s'affalant, en bout de course, sur le lit, les bras en croix. Il sentait poindre une migraine derrière son crâne et sa poitrine continuait à diffuser, dans sa cage thoracique, une douleur lancinante dont il ne trouvait pas l'origine. De quoi le rendre d'encore plus mauvaise humeur, si c'était possible.

Oui, Léné se sentait vidé.

Décidément, la princesse Eleon n'avait rien à envier à son père lorsqu'il s'agissait d'appuyer là où ça faisait le plus mal. Après les tortures qu'il avait subies afin d'expier sa trahison, il n'aurait jamais cru qu'il était possible de souffrir davantage. Il s'était trompé. Apparemment, les douleurs physiques n'étaient rien en comparaison de celles que le cœur pouvait nous infliger. Pour briser un homme, nul besoin de viser les os, seulement ce à quoi il tenait le plus. Et Eleon avait visé juste. Trop juste.

Grognant de colère et de frustration mêlées, il attrapa l'oreiller sous sa nuque et le lança à travers la chambre. La housse en coton s'abattit avec tant de force sur le mur, que les coutures craquèrent, laissant s'échapper une nuée de plumes d'oie blanche. Léné les observa un moment voleter dans l'air, légères, fragiles, éphémères. Et sa poitrine se comprima un peu plus lorsque le visage d'Annabelle se dessina dans son esprit. Fragile. Éphémère. Comme une plume. Comme sa vie. Léné se sentait stupide. Pire, il se sentait faible. Faible d'aimer. Faible de vouloir protéger. Faible de ne pas réussir ni à faire l'un ni à faire l'autre. Annabelle avait déjà trop souffert à cause de lui et cela continuait.

Et cela le rongeait. Malgré lui. Malgré ce qu'il était.

Alors qu'il suivait d'un œil morne les veines des larges poutres qui soutenaient le plafond, on pénétra dans sa chambre sans frapper. Il n'eut pas besoin de jeter un regard à l'intrus, le frisson qui remontait le long de sa colonne lorsqu'il se trouvait à proximité d'elle, lui annonça que Diya venait d'entrer.

La vampire était la dernière personne qu'il avait envie de voir à cet instant. Ce fut donc d'une voix dure qu'il lança, sans même la regarder :

— Tu tombes mal.

— De toute façon, le moment n'est jamais bien choisi avec toi. Mais je ne te laisse pas le choix. Il faut que je te parle.

Léné soupira. Quelle que soit son espèce, une femme qui introduisait une discussion ainsi n'était pas à prendre à la légère. Et malgré son apparente décontraction, le corps du vampire se contracta. Diya regarda les plumes éparpillées tout autour du lit tandis qu'elle avançait. L'un de ses sourcils remonta sur son front blanc, mais elle n'émit aucun commentaire. Une légère secousse du matelas apprit à Léné qu'elle venait de s'asseoir sur le lit à ses pieds. Il laissa le silence s'installer entre eux, persuadé qu'elle le romprait en premier. Diya était le genre de femme qui ne laissait jamais un conflit non résolu, même si, pour cela, elle devait foncer tête baissée et ravager ce qui se trouvait devant elle à la manière d'un bélier. C'est ce qui l'avait propulsée à la tête d'une armée de vampires. Mais cette façon d'agir n'était pas propre à Diya, elle avait fait des fils de Vanyre, un peuple au sang-froid, des êtres que rien n'affectait. Mais lui ? En était-il vraiment ainsi pour lui, aujourd'hui ? Non, et il devait arrêter de se mentir à lui-même. Il n'arrivait plus à feindre l'indifférence. Il ne le voulait plus.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant