Chapitre Trente-neuf, Nek'vör

1.1K 179 79
                                    

L'eau pénétra dans le tunnel, animée d'une conscience enragée. Son poing plaqua les survivants contre une saillie rocheuse qui entailla leur dos et leurs paumes tandis qu'ils attendaient dans la douleur que la vague furieuse passe, s'accrochant à leur vie autant qu'aux parois tranchantes.

Le souffle coupé et la cage thoracique comprimée, Annabelle manquait d'air. Pourtant, elle aurait été incapable de trouver l'origine de son asphyxie. Était-ce à cause de la puissance de milliers de litres d'eau qui s'abattaient subitement sur elle ou de la souffrance d'avoir perdu trois êtres chers en moins de temps qu'il n'en fallait à un papillon pour battre des ailes ?

Syssana.

Tillian

Lé...né.

Le visage plaqué contre la paroi, elle sentait la pierre mordre la peau tendre de sa joue tandis que le corps bien plus dense de Cal'Driuzh empêchait le gros de la vague de souder sa chair au mur du tunnel et de lui briser les os.

Presque noyée, aveuglée, elle perdait pied.

Son monde s'était déjà effondré à deux occasions ; à la mort de ses parents et lors de la trahison de Léné.

À cet instant, son univers se brisait une nouvelle fois en une multitude d'éclats acérés. Léné, Tillian et Syssana ne pouvaient avoir survécu à un tel déchaînement de puissance. Comment auraient-ils fait ?

Il fallut à Annabelle quelques secondes pour comprendre que la vague était passée. D'autres encore, pour réaliser qu'elle était toujours en vie. Et une troisième poignée pour se dégager de l'étreinte de son sauveur et se précipiter vers l'entrée de la grotte.

Le bas de sa jupe relevé, ses bottines s'enfonçant dans le sable humide et y laissant de larges crevasses qui se gorgeaient d'eau aussitôt, elle pataugea maladroitement jusqu'à l'entrée du tunnel.

Mais on ne lui laissa pas le temps de distinguer quoi que ce soit ; des pas dans son dos se rapprochèrent et on la tira en arrière, la plaquant sans douceur contre la roche. Elle poussa un cri qui était autant hachuré de surprise que de douleur, avant de se tortiller entre les deux mains implacables de Cal'Driuzh.

— Vous me faites mal, grinça-t-elle entre ses dents serrées.

— Si tu sors, tu es morte ! N'as-tu rien écouté de ce que j'ai dit ? Il veut la Pierre ! Il nous anéantira tous pour l'avoir !

Elle se dégagea d'une violente poussée, envoyant son coude dans la mâchoire du Dieu aveugle.

— Je m'en moque !

— Qu... articula Cal'Driuzh en titubant jusqu'à ce que ces omoplates rencontrent la seconde paroi.

Il porta ses doigts tremblotants à sa lèvre fendue, fixant de ses yeux aveugles, tour à tour, le sang sur sa peau pâle et Annabelle qui, l'ignorant, s'élançait déjà vers la plage.

Une nouvelle paire de mains agrippèrent son bras avant qu'elle ne sorte de la caverne et la firent reculer dans l'ombre. Cette fois, elle cria en se retournant, le poing armé.

— Je vous ai dit qu...

— Anna... chuchota une bouche aux lèvres fines.

Plongée dans les yeux doux teintés de tristesse et de douleur de son frère, Annabelle n'eut plus la force de se rebiffer. Anéantie, elle se projeta dans ses bras, enfouissant son visage dans sa chemise trempée. À cet instant seulement, elle fondit en larmes.

— Nous devons mettre Misia Lo Gaï à l'abri.

Les poings serrés d'Annabelle firent craquer les coutures du tissu.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant