Chapitre Vingt-trois, et les compagnons ennemis

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Léné descendait les marches de l'escalier qui menaient à la caserne à grandes enjambées ; il devait s'assurer une dernière fois que ses hommes étaient fin prêts et au fait des dernières recommandations. Il avait également une dernière mission à accomplir avant que le soleil ne couche ses derniers rayons sur la forteresse.

Ce soir aurait lieu la première des sept soirées qui marqueraient le passage à l'âge adulte de la princesse d'Ombria. Eleon avait choisi de dissimuler les traits de ses invités sous des masques et des loups afin de transformer la fête en un bal masqué à la fin duquel l'identité de chacun serait dévoilée – minuit sonnant – au moment exact ou la jeune femme prendrait une année. Un beau symbole de son passage de l'enfant à l'adulte.

Oui, l'idée était bonne, certes, mais donnait du fil à retordre à la sécurité du palais et à ses différents représentants. La plupart n'avaient pas fermé l'œil depuis trois jours, oubliant même de manger. Et Diya – à la tête des troupes vampiriques d'élite – était loin de faire exception. Comme le chef des gardes ou le commandant de l'armée régulière, elle ne savait plus où donner de la tête et envoyait ses hommes dans diverses missions qu'il était impératif de finir avant le début de la soirée. Parmi ses hommes, comptait Léné, son second. Il avait couru toute la journée du Nord au Sud, de l'aile ouest à celle de l'est, des cuisines aux écuries, afin de vérifier que toutes les mesures de sécurité préalablement établies étaient correctement mises en place ou sur le point de l'être. Que chaque invité en possession d'une invitation eût bien trouvé de quoi se loger, et évitât de poignarder son voisin de chambre afin de récupérer de meilleurs appartements – plus près des quartiers royaux. Il devait aussi s'assurer que chacun fut à son poste et que cette première soirée fut un inoubliable succès, dont on parlerait encore des décennies plus tard.

Le vampire – d'humeur acariâtre – avait la désagréable impression d'avoir troqué son plastron de guerrier contre les boutons de manchette d'un maître d'hôtel. Mais il se rassurait en sachant que s'il avait du travail par-dessus la tête, Diya, elle, se noyait littéralement dedans. Que la vampire soit occupée ainsi l'arrangeait bien. Lorsqu'elle reprenait son rôle de commandante de la Sombre Armée, elle en oubliait ses envies de meurtre. Une boucherie qu'elle semblait vouloir réserver à Annabelle depuis qu'elle avait compris que son époux était attaché, malgré lui, à son humaine domestique. Il était hors de question de la laisser faire. Léné usait de toutes les stratégies possibles afin de détourner l'attention de la vampire, lui faisant oublier l'ennuyante humaine. Il n'aurait jamais cru un jour se retrouver dans le rôle du séducteur obligé d'user de ses charmes pour occuper le corps et l'esprit de sa femme, mais depuis une semaine, c'est bien à ça qu'il passait ses nuits.

Une véritable armée de serviteurs, de commis, de pages et de femmes de chambre passait devant lui sans même le remarquer, les bras chargés de victuailles, de vaisselle d'argent et de porcelaine, d'étoffes, de caissettes à bijoux ou de vases garnis de fleurs splendides et délicieusement odorantes. D'autres couraient tout simplement, d'un bout à l'autre du château, transmettant messages et instructions. Un aide-cuisinier faillit lui rentrer dedans, évitant la collision à l'ultime seconde. Les joues rouges et le visage en sueur, il faillit ne pas s'excuser jusqu'au moment où les canines de Léné brillèrent méchamment. Le jeune déglutit et baragouina une série d'excuses inintelligibles avant de s'enfuir à toutes jambes. Plus vite qu'il lui était humainement possible.

Léné ouvrit une lourde porte bardée de fer. Ses propres pas pressés le menèrent jusqu'à l'armurerie où une vingtaine de ses soldats d'élite s'équipaient en silence. S'ils avaient été humains, l'ambiance dans la large pièce voûtée aurait été différente, plus légère. Les rires et les exclamations joyeuses auraient accompagné les sons métalliques des lames récupérées sur leurs portants et glissées dans les fourreaux de cuir. L'ambiance aurait été de celles propices aux chamailleries entre soldats et aux piques graveleuses. Ils auraient trouvé des moyens créatifs et ludiques afin de faire redescendre la tension qui montait inévitablement avant un combat ou une mission de première importance. Mais les soldats de la Sombre Armée étaient des vampires, un peuple à l'esprit froid et analytique. Une armée de prédateurs aux émotions refoulées lorsqu'il n'était pas question de traques et de tueries.

La PIERRE de SANG tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant