Partie 9

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Trois semaines plus tard…
Jouant distraitement avec l'une de ses boucles d'oreille, Carlie était assise derrière le comptoir de la cuisine, regardant sa mère s'affairer dans la pièce. Elle était en train de préparer le diner tout en bavardant gaiement avec sa fille, qui elle ne paraissait pas saisir la moitié de la conversation avec ses "oui…oui…" et des "humm…humm…" trop vagues.
Carlie !
La jeune fille sursauta.
Désolée maman. Je... J'étais loin...Tu disais ? balbutia la jeune fille.
Viens m'aider avec la sauce, ordonna sa mère avec un sourire en coin.
Carlie s'exécuta immédiatement, elle n’aime pas lorsque les gens s’intéressent un peu trop à elle ; car elle est du genre à se perdre des heures dans ses pensées, oubliant le monde autour d’elle, laissant son esprit l’emmener où bon lui semble. Madame Michel observa un instant sa fille puis lança :
Tu fréquentes un garçon ces jours-ci ma chérie ?
Carlie se figea un instant puis fit comme si de rien n'était, et répondit avec calme.
Pourquoi tu me le demandes maman ?
Eh bien ! Tu es en âge d’avoir un petit ami, tu es une belle et intelligente jeune fille, quel homme saurait résister à ton charme ? 
Maman arrête ! Je n’ai personne en tête et je ne fréquente aucun garçon. Tu n’as pas à t’inquiéter de cela. répliqua Carlie un petit peu agacée.   
Mais je ne m’inquiète pas que tu aies un copain maintenant, je m’inquiète parce que tu n’en as pas encore. Enfin, c’est ce que tu prétends.
Tu n’as pas à t’inquiéter de cela. J’ai tout mon temps maman, se justifia Carlie.
A vrai dire, j’ai l’impression que tu ne veux pas être honnête avec moi. Tu sors assez souvent, tu rentres très tard certaines fois, et je doute que ce soit uniquement à cause de tes cours à la faculté.
Maman dis-moi, qu’est-ce que tu veux ? demanda la jeune fille qui s’énervait déjà.
J’aimerais juste que tu sois honnête avec moi Carlie.
Mais je te dis la vérité ! Je n’ai pas de petit ami ! hurla-t-elle exaspérée.
D’accord…d’accord… Mais quand tu sors, tu es avec qui ? Je sais que tu es une adulte maintenant, tu es à ta dernière année à la faculté, tu es même en âge de te marier.
Qui te dit que je veux me marier maman ? coupa Carlie brusquement en écarquillant les yeux.
Et pourquoi pas ? C’est bien de se marier, d’avoir des enfants, de fonder une famille, on ne peut pas rester seule.
Suis-je obligée de me marier ? Suis-je obligée de m’attacher à un homme pour vivre, comme ma sœur ?
Carlie surveille ton langage ! Je veux juste à l’avenir être au courant avec qui tu sors le soir. Je ne pense pas que c’est trop te demander !
Et comment je fais cela ? demanda-t-elle avec arrogance.
J’exige, quelle que soit la personne qui veut sortir avec toi, qu’elle vienne te chercher à la maison, qu’il se présente, qu’au moins vous disiez où vous irez et quand vous allez rentrer.
J’en ai terminé avec la sauce, je te laisse.

Madame Michel regarda partir sa fille, elle n’essaya pas de la retenir, ne voulant pas trop la brusquer. Carlie était une jeune fille distante, toujours dans les nuages, elle ne s’exprimait pas souvent et gardait ses secrets pour elle. Depuis la mort de son père, elle s’était renfermée encore un peu plus sur elle-même, seul son père pouvait franchir les barrières qu’elle érigeait autour d’elle. Tout le monde s’était étonné de voir qu’elle n’avait pas pleuré le jour de ses funérailles. Ses yeux étaient secs, son visage impassible, elle restait à l’écart, perdue dans ses pensées, comme dans son habitude. Certains disaient qu’elle est une fille compliquée, différente, trop différente même. Son père lui, disait qu’il s’en foutait de ce que disent les gens, il était fier d’avoir une fille pas comme les autres. C’était la plus belle chose que pouvait lui dire son père, plus belle et plus forte qu’un « je t’aime ».
Carlie entretenait une relation très serrée avec son père, c’était son chéri comme disait sa grande sœur. Ils finissaient les phrases de l’autre, pouvaient dire beaucoup en très peu de mot, avaient leur propre système langagier, abordaient tous les sujets ensemble : science, société, culture, politique, sport, sexe, musique. Leur proximité a permis à sa fille de grandir dans un environnement où toutes les couleurs se mélangeaient, où tout lui semblait possible, tout lui paraissait à sa portée quand son père était encore de ce monde. Mais aujourd’hui tout semblait gris, sombre, sans saveur, sans couleurs, sans intérêt aucun. Un arrêt cérébral lui a enlevé son père, il a un bogue.  Quelque chose, une mauvaise connexion, un neurone quelconque a explosé, et il s’est éteint. Il a juste arrêté de vivre brusquement. Elle ne lui en voulait pas, car apparemment lui non plus ne s’attendait pas à partir aussi rapidement, ils avaient tellement de projet, ils préparaient un long voyage, ils voulaient visiter l’Afrique et l’Europe. Carlie remerciait juste la nature de lui avoir accordé une mort rapide, sans douleur, il n’a pas eu une dégénérescence qui aurait pu l’humilier, lui enlever toute vigueur, toute envie de vivre, elle aurait détesté avoir pitié de son père. Un homme qui respirait la vie avec de grandes bouffées d’air. A présent, comment faire pour vivre dans un monde où il est absent, comment fait-on lorsqu’on n’a personne à qui se confier, personne ne peut vraiment comprendre ce que l’on ressent, ce que l’on veut exprimer. Comment faire pour donner un sens à sa vie, comment faire pour communiquer, pour partager, pour s’ouvrir ?

Kaléidoscopie d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant