A son réveil, Carlie trouva des messages de Justin, elle y répondit avec un enthousiasme dont elle n’avait pas fait preuve depuis longtemps pour n’importe quoi. Elle se surprenait elle-même. Depuis lors, ces deux-là sont devenus inséparables, passant des heures au téléphone à discuter de tout et de rien. La jeune fille s’est révélée être une interlocutrice insatiable de nouvelles connaissances. Avec une personne possédant une culture aussi large qu’elle, les conversations sont des plus riches. Un pur délice ! Au lit, à table, sous la douche, en classe, en bus, à l’église, qu’importe le lieu, ils se parlaient. A midi, minuit, qu’importent l’heure, ils discutaient. Certaines fois, ils restaient silencieux, ne sachant plus quoi se dire l’un l’autre, ils écoutaient le silence de l’autre. Tous les approchait et tous les éloignait. Carlie aimait beaucoup les films d’horreur et d’épouvante, Justin aimait les films science-fiction ou fantastiques. Carlie adorait les romans, les nouvelles, Justin préférait la poésie. Elle adorait parler politique et société, lui voulait toujours parler économie et sport. Ils faisaient une belle paire à eux deux.
Cependant, le tableau n’était pas si beau pour Carlie. D’un côté, il y avait ses parents, surtout sa mère s’est fâchée en sachant que son nouvel ami, qui captait toute son attention du matin jusqu’au soir était le neveu de Madame Viard, qui habite dans le quartier voisin du sien. Sa mère, ne lui a rien dit de la raison de ce malaise entre la famille Viard et Michel, elle lui a juste demandé de couper tout contact avec le neveu de Madame Viard. Carlie de son côté avait demandé à Charles-Henry, et sa grande sœur, mais aucun d’eux ne pouvait lui donner une explication. Ils répétaient tous que la famille de sa mère avait des secrets très enfouis, qu’il ne fallait plus la déranger sur ce point. Charles-Henry était très sérieux à ce sujet, car il dit se souvenir que sa mère l’avait retiré d’une école en pleine année scolaire, juste parce qu’il était dans la même école qu’un des enfants de la tante de Justin. Rien n’était explicite, les plus vieux semblaient retenir leur bouche cousue, même du côté de Justin, ce dernier n’avait rien pu avoir de concret, sa tante ne faisait que lui dire d’éviter la fille des Michel, que cette famille tenait les Viard responsables pour quelque chose qui s’est passé il y a des années de cela.
D’un autre côté, la relation à trois Alex, Mirabelle et Johnny, mettait Carlie dans un étau qui se resserrait de jour en jour, dont elle peinait à s’en sortir. Déjà elle qui détestait s’embarquer dans les affaires personnelles des autres, et voilà qu’elle est devenue le troisième pilier de deux relations différentes. C’était bien plus qu’elle pouvait en supporter pour Mirabelle. Alex l’aimait, l’adorait et il semblait être prêt à franchir le cap final. Cependant Mira, elle, ne désirait que s’amuser encore un peu, et ne pensait nullement à se confiner dans les liens sacrés du mariage. De plus, il y avait Alex qui devenait de plus en plus méfiant, surveillait Mirabelle, posait des questions à tout le monde sur ses entrées et sorties. Pendant plus d’un mois, il ne faisait que la harceler avec ses doutes sur sa petite amie, se plaignait de l’indifférence grandissante dont Mira faisait preuve vis-à-vis de lui. Carlie se félicitait que le chantage émotionnel qu’effectuait Alex sur Mira, ne pouvait plus tenir son amie en laisse dans leur relation. Mais l’indépendance qu’elle affichait, la dérangeait aussi puisque lorsqu’une maison s’effondre les poteaux sont les premiers à prendre les coups durs.
………………………………………….
Et puisque les problèmes ne viennent jamais tous seuls, un après-midi alors qu’elle s’était faite belle pour sortir, Alex l’appela. Elle refusa de prendre l’appel, ignora jusqu’à dix fois la sonnerie du téléphone. Pour finalement le prendre et lui crier dessus :
- Je ne sais rien ! Et je ne peux rien te dire ! Si tu as des soupçons tu n’as qu’à demander à Mirabelle ! Arrête de me harceler !
- Tu n’as rien à me dire Carlie. Si c’est vrai qu’elle est avec un certain Johnny Montpellier, étudiant en Sociologie de la FASCH, Niveau III, originaire des Gonaïves. Ils sortent ensemble depuis des mois, tu n’as qu’à rester silencieuse. dit-il d’un trait, calmement.
Carlie aurait pu dire quelque chose, mais elle était tellement surprise, que les mots lui manquaient. Elle resta silencieuse au bout du fil, mais parlait en elle-même :
« Il savait tout ! Et bien plus d’informations que moi ! Merde ! Je ne savais même pas que Johnny était originaire des Gonaïves ! Comment ? Par qui ? Mira aurait-dû être plus prudente. De toutes les façons la vérité allait se dévoiler. Tôt ou tard, rien ne peut rester éternellement caché. J’avais dit cela à Mira, je l’avais prévenue ! Comment allait-elle gérer la situation maintenant ? Comment tout cela va-t-il finir ? Johnny pense qu’elle s’était séparée d’avec Alex, elle leur ment à eux deux. Comment peut-elle faire cela et déclarer qu’elle les aime trop. Ma conception de l’amour est très obsolète comparativement à celle de Mira en tout cas. »
Pendant tout ce temps, les secondes s’égrenaient, et Carlie était perdue dans ses pensées, faisait encore son monologue intérieur. Et là, l’appel se coupa, car Alex avait raccroché avant même qu’elle put se remettre de sa surprise et formuler une phrase.
- Allo ! Alex ! Tu es là ? Alex ? dit-elle en regardant l’écran vide du téléphone.
« J’aurais dû dire quelque chose ! Il prendra mon silence pour une confirmation. Mais je ne voulais rien confirmer. Ce n’était pas à moi de lui dire. Franchement c’est quoi mon problème ? Et je monologue encore une fois. Il faut que j’arrête de me parler toute seule, sérieusement ! Je vais m’attirer des ennuis à rester tout le temps perdue dans mes pensées. Déjà les gens me trouvent bizarre, je ne vais pas leur donner raison de penser que je suis folle également. Ok, j’arrête de réfléchir, j’ai déjà un rendez-vous avec Justin, je ne vais pas gâcher ma journée à cause des frasques de Mira. Elle l’avait cherché. »
Résolument, elle remit son téléphone dans son sac à main et sortit de chez elle. Cela faisait presque trois semaines qu’ils se parlaient au téléphone, et ils ne s’étaient pas encore revus, malgré leur volonté de se voir plus tôt que ces trois semaines, mais on dirait qu’ils étaient destinés à se revoir en respectant ce délai de trois semaines. Malgré tout, le hasard, ne leur laissait pas devenir maitres de la situation. Justin était la seule chose qui ne s’écroulait pas dans sa vie, sa relation avec son frère s’effritait de plus en plus, à cause de sa détermination à prendre sa liberté vis-à-vis de sa famille, ses notes à la faculté n’étaient pas au top, car elle avait beaucoup de retard dans les devoirs et les notes pour les examens, elle s’était mis à étudier et rédiger ses devoirs un peu trop tard, la veille, ou le jour même. Elle n’a pas vraiment de temps pour étudier puisqu’elle a passé le plus clair de son temps, à pratiquement rien faire, à part discuter avec Justin, lire, regarder des dizaines d’épisodes de ses séries tv préférées. On dirait qu’elle prenait plaisir à se brûler les doigts en sachant toutes les conséquences que ses actes auraient sur ses études, mais rien ne lui donnait le goût de faire un effort sur elle-même. Une force surhumaine, nommée la dépression, lui poussait à ne rien faire de constructif de ses journées.
…………………………………….
Cette rencontre avec Justin était pour l’aider un peu à déstresser entre sa relation compliquée avec sa famille, les frustrations en rapport aux modes de fonctionnement de sa Faculté qui montaient comme une pile d’excréments dans ses narines dont elle ne pouvait plus se protéger, les deux plans à trois de Mira qui lui donnaient des migraines continues, et sa mère qui devenait de plus en plus mystérieuse par rapport à cette histoire avec la famille Viard. Ils avaient décidé de se rencontrer au centre-ville, de sorte que chacun d’eux fasse la moitié de la route puisque chacun habitait dans une ville différente de Port-au-Prince. Pour le deuxième rendez-vous, avait dit Justin, il viendra le rendre visite à Carrefour et pour le troisième rendez-vous si Carlie, pensait toujours qu’il est digne de fréquentation, elle viendra le voir à Delmas. Ainsi ils s’assureront que l’attachement est mutuel et réel.
Carlie portait une petite robe bleue lavande, elle avait une ceinture rose qui mettait en valeur sa taille fine, et elle avait aux pieds des ballerines de la même couleur de sa ceinture. Elle fit un chignon au-dessus de sa tête, elle tressa ses cheveux qui y pendaient, puis les enroula sur eux-mêmes, et ainsi forma une gracieuse couronne de tresse sur son cuir chevelu. Avec son visage allongé et ses pommettes rondes, ses oreilles paraissaient un peu trop grandes pour sa petite tête, elle n’y mit que des petits points d’or comme boucle d’oreilles. Légèrement maquillée, du fard à paupière, un peu de mascara pour allonger ses cils, et du fard mauve sur ces lèvres. Ses ongles étaient du même mauve, voulant paraître un peu original.
Elle arriva environ une trentaine de minutes en retard, il trouva Justin au fond du restaurant, calmement installé qui écrivait sérieusement sur ordinateur. Il était encore plus beau que dans son souvenir, l’ayant jamais vu aussi sérieux, qu’elle resta debout à le regarder. C’est alors qu’ayant sans doute remarqué sa présence qu’il leva les yeux et sourit en la découvrant.
- Ce mauve a été créé pour ta bouche ! Franchement ! déclara-t-il en se levant pour l’embrasser.
- Merci ! Je croyais que tu ne m’avais pas donné rendez-vous dans le but de me charmer ? demanda Carlie soudain taquine.
- Oui, tu dis vrai ! Mais, ceci ne peut m’empêcher d’apprécier une beauté lorsque j’en vois une. Sans arrière-pensée.
- D’accord. Je ne t’ai pas fait attendre trop longtemps j’espère.
- Tu es retard, ce n’est pas important, te voir me suffit et d’ailleurs, cela m’a permis de répondre quelques emails urgents. Je t’offre quelque chose à boire ? disait-il tout en fermant son ordinateur.
- Je suis ravie que mon retard ait été utile! Oui, je predrais quelque chose de rafraichissant. La journée fut chaude. répondit Carlie qui se sentait déjà à l’aise.
- Bien ! Une bière alors ?
- oui ! Merci bien.
Justin appela la serveuse, et demanda deux bières puis rapprocha sa chaise de celui de Carlie. La complimenta encore pour la couleur mauve de ses ongles, ce qui renchérit son affirmation du début que le mauve la sied à merveille.
- Est-ce que l’endroit te plait ? demanda-t-il
- Oui, et j’adore le fait que l’on soit dehors et que l’on jouisse de la fraicheur des arbres autour de nous, et la musique est bonne, c’est du Tabou Comboque l’on joue là, Et alors, qu’est le titre de la musique.
- Exact ! Tu aimes les vieilles chansons ! Mon Dieu, j’ai trouvé une fille qui aime les vieilles chansons comme ma mère.
- Oui, j’aime beaucoup. Il y a d’autres titres que j’aime comme Baissez bas, Bolero Jouk li jou, Adrienne, etc…
- Je suis avec la bonne personne ! compléta Justin, l’air ravi.
La vie ici-bas répond à des règles tellement bizarres, dire que c’est lorsqu’on ne s’acharne plus à chercher quelque chose, c’est à ce moment qu’elle vous apparait aussi simple comme souhaiter « le bonjour ». Il y a tellement longtemps qu’elle essayait de se trouver un compagnon, un ami, capable comme Justin de comprendre ses blagues. Et, d’avoir des discussions animées qui débutent sur des sujets aussi badins comme son fruit préférer qui est la mangue, pour finir par parler d’agriculture, d’économie et de politique d’exportation, sans pour autant laisser leur premier objet de discussion qu’était la mangue. Elle se languissait pour le revoir, elle se demandait si l’impression qu’elle avait eu de lui dans le bus, puis après lorsqu’elle lui avait apporté son numéro à la station essence de Diquini, serait toujours la même. Cela fait presque deux mois depuis leur première rencontre. Avait-il changé ? Avait-elle changé ? Elle se disait que si Justin était prêt à entamer une relation avec elle, devrait accepter. Mais bon, il y avait toujours de son ex-petite amie qu’il refusait toujours de parler, prétendant que c’était du passé et que cela devait rester à sa place au passé. Ce garçon commençait vraiment à lui plaire, prétendre qu’elle n’était pas intéressée est un beau mensonge. Mais comment se comporter avec lui, lorsque lui-même disait n’être pas décidé à avoir de petite amie à présent ?
VOUS LISEZ
Kaléidoscopie d'une vie
Short StoryJustin et Carlie grâce à la complicité du hasard se sont croisés dans un bus qui quittait Carrefour pour le Centre ville de Port-au-Prince. Depuis lors, les fils de leurs vie se sont entremêlés ; formant ainsi un noeud d'affection, de complicité et...