Partie 34

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Elle était encore dans son état d'âme perdue lorsqu'elle arriva au pied de l'escalier de chez Justin. Il était près de six heures de l'après-midi, le soleil ne tapait plus fort dans le ciel, le vent soufflait dans les rideaux aux portes, une petite brise fraiche venait des mornes pour s'engouffrer dans les chambres des maisons de ciment grises de Port-au-Prince. Elle leva la tête et vit les nuages qui s'amoncelaient dans un coin du ciel, perdaient alors de leur blancheur pour prendre une teinte plus menaçante, laissant ainsi un coin du ciel d'un bleu pure et frais. Ils étaient désordonnés et un peu perdus. Elle aurait aimé que ses idées puissent refléter la clarté et la pureté de ce bleu, mais ses idées semblaient s'acharner pour s'apparenter à ces nuages rebelles qui s'évertuaient à gâcher la gaité du bleu du ciel de cette après-midi-là. Carlie avait les jambes en coton, elle chancelait légèrement en grimpant la dernière marche de l'escalier, son ventre gargouillait et sa vue se diminuait. C'est alors qu'elle se rendit compte que durant toute la journée elle n'avait rien mangé de consistant. Dans le couloir, la musique de chez Justin lui parvenait. Qui d'autre que lui pouvait mettre en boucle des titres de James Blunt ? C'était l'album de 2013 Moon landing, le titre préféré de Carlie sur cet album est Face the sun. La porte était entrouverte, et le petit appartement semblait désert. Il régnait un désordre qui l'étonnait dans la petite pièce du salon, valise, cahiers, plumes, bouteille de bière, plat en plastique, mégots de cigarette, divers papiers et morceaux de papiers, gisaient sur le plancher couvert d'un grand tapis marron à poil long. Le tapis marron à poil long était moelleux et doux, lorsqu'elle déposa ses pieds dessus après avoir enlevé ses chausseures sur le palier. Ce tapis-là était nouveau pour elle, comme ce désordre qui emplissait la pièce. Doucement, elle entra et appela Justin, mais personne ne répondit. Elle l'appela une seconde fois, pensant qu'il ne devait pas être trop loin pour laisser sa porte ouverte, peut-être qu'il est chez Bettie réfléchissait Carlie. Elle s'assit sur le divan-lit où, elle et lui ont fait l'amour pour la première fois. Elle sourit en se rappelant leurs doux ébats de ce soir de tempête. Justin va être agréablement surpris de la voir, espérait-elle, car elle s'imaginait encore son désir à elle en tant que réalité.

Elle grimaça en se baissant pour prendre son téléphone dans son sac-à-dos. Elle se cala plus confortablement sur le divan-lit et allait composer le numéro de Justin pour savoir où il se trouvait, c'est alors que la porte de la chambre à coucher de l'appartement s'ouvra. Carlie avait en face d'elle une jeune femme avec la peau claire, de taille moyenne, sophistiqué avec ses mèches brésiliennes qui pendaient sur sa poitrine, ses ongles longues et manucurées. Elle était pied nue, et ne portait qu'une serviette. Une grosse serviette grise qui enveloppait toute sa poitrine, mais qui laissait une petite fente devant et laissait voir la peau tendre de ses cuisses et imaginer son ventre plat, sans doute. Également, aussi grande qu'était la serviette, elle ne pouvait camoufler les rondeurs des fesses impressionnantes de la jeune femme. Cette créature qui représentait le prototype parfait que beaucoup d'hommes haïtiens apprécient et que beaucoup de femmes haïtiennes s'évertuaient à ressembler, ne plaisait pas du tout à Carlie. Ces Barbie noires ou claires de peau, avec petite poitrine, fine taille, le tour de rein large, et les fesses trop rebondies, ont leurs images qui sont louées par tous les magazines, chaines de télévision, et pages internet. Elles font la vie dure aux autres femmes toutes en chaires, généreuses et pleines de vie. Carlie de son côté n'avait pas trop à se plaindre, la nature lui avait gracié de quoi rivaliser avec ces femmes Barbie. Car tout son poids était dilué dans sa hauteur, son long cou gracieux, son port altier, ses cheveux drus en broussaille, ses petites fesses dures et dodues, faisaient bien tourner quelques têtes sur son passage, femme ou homme, de cela elle était pleinement consciente.

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Carlie se mit alors debout lentement, força la jeune femme en face d'elle à lever la tête pour la regarder dans les yeux. Sans ambages, oubliant qu'elle n'était pas chez elle, que cette femme pourrait être un membre de la famille de Justin à qui elle pourrait faire très mauvaise impression, et surtout que les critères de sa relation avec le jeune homme n'étaient pas encore bien élaborés, Carlie demanda avec arrogance :

Kaléidoscopie d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant