Partie 38

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Mirabelle s'arrêta à la porte de la Ha06, elle vit son ex-amie assise toute seule sur une chaise, l'air d'attendre quelqu'un ou d'attendre quelque chose. Elle voulut l'approcher, lui parler, lui toucher les épaules, l'embrasser, la taquiner, mais ses pieds étaient comme engourdis, elle ne pouvait pas, quelque chose la retenait. Logiquement, elle savait que l'histoire que Carlie venait de lui raconter ne pouvait pas tenir. Cette histoire où Johnny aurait réussi la manipulation du siècle, et que Carlie serait comme par hasard tombée sur lui et ses amis, discutant sans aucune crainte de la grande conspiration sur la cour de la Faculté, comme s'il discutait football ou des affaires de cul. Mais, sous sa peau, elle sentait la démangeaison qui lui signalait quelque chose de louche se tramait. C'était comme lorsqu'on avait le nom d'une personne sur la pointe de la langue, mais qu'il se refusait à votre esprit.

Elle était consciente qu'à mesure que le temps passait, le fossé se creusait encore plus profondément entre elles. Cependant, les raisons de Mirabelle allaient au-delà de la question de l'appel d'Ale. Bien plus loin du fait que Carlie n'a pas su lui faire confiance, ou parce que son ex-amie n'a pas pu se taire. Ces raisons que Mirabelle se refusait d'accepter, de reconnaître, des raisons enfouies en elle, des raisons bien obscures que son subconscient gardait précieusement. Et elle en avait peur, parce que faire la paix avec Carlie signifiait qu'elle découvre ces raisons, qu'elle traite ses problèmes, les expose pour en discuter. Mirabelle n'était pas prête à se mettre à nu devant Carlie, elle n'était pas prête à ce que Carlie découvre l'autre face qui se cachait derrière l'image de la fille insouciante, sûre d'elle, et vivace qu'elle affichait. Mirabelle craignait de faire connaissance avec elle-même.

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Quelques jours plus tôt, avant leur dispute à propos du coup de fil d'Alex, elle aurait cru que n'importe quel problème qu'elle aurait pu avoir avec Carlie ne saurait rester irrésolu. Car, elle se serait tout simplement dirigée vers Carlie, l'aurait prise carrément par la gorge pour qu'elles arrangent tout cela sans hypocrisie ou détour précautionneux. Cependant, des années d'ententes et de complicité venaient d'être détruites, pas parce que Carlie avait commis la plus grosse bêtise aux yeux de Mirabelle. Non ! Mais plutôt, parce que ce coup s'est porté direct sur la faille de leur relation. Cette faille qui s'élargissait à chaque réponse bourrue, à chaque sentiment d'incompréhension, et à chaque divergence d'opinion, de choix ou d'intérêt qui n'est pas acceptée par Carlie. Mirabelle avait appris à se taire, à ne pas dire ce qu'elle pensait réellement, à ne pas exposer l'objet de ses désirs. Elle parlait beaucoup, était-ce pour compenser ce manque ? Ce manque de dire ce qu'on pense en réalité. Elle se montrait autoritaire, envahissante envers son amie. Était-ce parce qu'elle craignait que son amie ne prenne plus de place qu'elle, plus d'emprise sur elle ?

L'on pourrait croire qu'elle était celle qui menait la barque de leur relation, qu'elle était autoritaire et dominatrice sous ses airs et ses idées excentriques. Et pourtant, Mirabelle ne voyait pas les choses de cette façon. Parce qu'elle considère Carlie comme l'eau, prenant la forme du récipient qui veut bien la contenir, mais également une eau capricieuse, tantôt chaude, tantôt froide, tantôt huileuse, changeante, et se laisse pas apprivoiser. Elle pense que son ex-amie arrive à faire en sorte que son partenaire s'acclimater à elle au fil du temps. Mirabelle sait que Carlie n'a pas conscience de la force de son caractère, et à quel point elle peut influencer les gens quand elle se décide à s'intéresser à eux. Depuis le début son ex-amie a été un garde-fou pour elle, Carlie avait des positions arrêtées sur beaucoup de chose. Son éducation familiale et religieuse rigide l'amenait à se méfier de tout et à tout critiquer bien avant de se lancer. Ce qui était le contraire de Mirabelle, elle se lançait, se cassait les dents, et ensuite évaluait les dégâts, et les pertes, puis se relançait encore et encore. Du moins c'était l'idée que Mirabelle avait de Carlie, c'est ainsi qu'elle voyait son amie. Fille parfaite, venant de la famille parfaite.

Kaléidoscopie d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant