Partie 15

89 16 2
                                    

Dans sa tête Carlie se mit à monologuer, elle réfléchissait aux déclarations de l’horrible couple de tourmenteur, elle était en colère. Elle s’imaginait se retourner vers eux et prendre la parole, avec grâce et fierté. Elle se voyait capter l’attention de tout le monde, elle se voyait déclarer : « 
–  L’une des choses les plus stupides et injustes que mes parents m’ont dite et que j’entends encore d’autre parents répéter, est que l’enfant doive se taire docilement lorsqu’ils le rouspètent. Sérieusement mesdames et messieurs, vous les aviez envoyés à l’école vos enfants, pas vrai ? N’est-ce pas normal s’ils peuvent et s’ils veulent se défendre lorsqu’ils se sentent acculés ? N’est-ce pas la bonne chose à faire de répondre une personne qui s’adresse directement à vous ? Alors, pourquoi vous vous irritez quand vos enfants vous répondent lorsque vous les grondez ? Autre chose, je ne cesserai de m’étonner en voyant des parents surpris de voir leurs enfants en colère. Vos enfants peuvent être en joie ou triste, à cause d’une chose que vous aviez faite ou dite, mais pourquoi pas en colère ? Quel mal y a-t-il à cela, de leur reconnaître leur droit à la colère, à exprimer franchement leur frustration ? 
–   Bien sûr que les enfants sont souvent irrespectueux et ont des accès de langages et de comportements qui peuvent mettre en rage un parent, en voyant à quel point il a échoué dans l’éducation ou la ligne de conduite qu’il voulait pour son enfant. Mais, ce n’est pas une raison pour le punir de cette façon, avec autant de violence. N’est-il pas la chaire de votre chaire, le sang de votre sang ? 
–  Je sais bien que les avis sur la question des châtiments corporels diffèrent beaucoup chez nous. C’est en effet un sujet assez controversé dans la société haïtienne. Mais, les châtiments physiques soit ils endurcissent l’enfant, soit ils blessent leur état d’âme et leur fierté. Trop souvent, l’on voit l’enfant rire de sa maitresse ou de son père après avoir reçu « une bonne correction », et dire : « Cela ne fait même pas mal ; je n’ai même pas pleuré ; je peux encaisser les yeux fermés ; qu’ils me tuent en me fouettant aujourd’hui je recommencerai demain ; cela fera juste mal un moment après cela passera. » Ces différentes déclarations démontrent clairement que le châtiment physique n’arrange pas les choses.
–  Aussi le fouet, le bâton, les coups de sandales, les coups de « Matinèt » ou de « Rigwaz », les gifles, les coups de fils électriques, causent plus de tort que de bien aux enfants et même des complications pour la famille. Souvent le parent est en colère pendant qu’il lance ses coups, il peut s’énerver en voyant son enfant se débattre, même si c’est une réaction naturelle chez l’enfant car les coups de fouet font très mal, et de ce fait ne prêtent pas attention à où le coup va tomber. Comme conséquence, des blessures graves peuvent s’ensuivre, vous pouvez crever l’œil de votre enfant avec la boucle de votre ceinture par exemple. Certains parents sont très coléreux et ne prennent même pas le temps d’aller chercher un fouet adéquat à la punition. L’objet qui se présente sous leur main leur suffit. Le parent peut, sans trop y penser, lancer contre l’enfant des articles divers et hétéroclites comme : la manche d’un pilon ; une louche ; une cuillère en bois ; un couteau ; une chaise ; un sac ; des sandales ; un soulier ; un bout de bois…
–  Sérieusement les parents devraient vraiment essayer d’être plus imaginatif dans leurs punitions, à inventer des corrections constructives, comme : vas lire un livre et m’en faire le résumer ; vas écrire une lettre au président et lui demander ce qu’il veut pour son pays ; vas faire des recherches sur les métiers qu’il veut exercer à l’avenir ; il est de corvée pour la vaisselle pendant un mois ; il doit balayer la cour chaque matin pendant deux mois ; etc. 
–  Mais en y réfléchissant bien, ce monsieur du bus a prétendu vouloir démontrer à l’adolescente qui est l’adulte de la maison, et dans la phrase qui a suivi, il a dit : « De toute façon, je serai toujours plus grand qu’elle. » Ces mots utilisés mettent à jour de manière claire et nette, le rapport de force existant entre l’homme et sa pupille. Cela voudrait dire que la flagellation agressive de la jeune fille n’était pas nécessairement pour son bien à elle, mais pour son bien à lui. Parce qu’en vérité il était dans le besoin de la ramener à l’ordre, de rasseoir son autorité sur elle. 
–  Franchement pourquoi l’enfant ne peut pas être traité avec un statut égalitaire, sans pour autant lui conférer la même considération qu’un adulte. Egalité dans son droit à la parole pour argumenter, pour se défendre, pour exprimer ses sentiments. Le droit de se mettre en colère, sans pour autant de se montrer irrespectueux. Le droit de négocier les décisions qu’on lui dicte ou même de refuser ce qu’on lui demande de faire. 
–  Il est nécessaire à notre société de repenser les interactions communicationnelles perpendiculaires entre parents et enfants car la dernière chose dont notre pays a besoin est une société de zombies dont l’enfance a été violée et volée par des parents confortables dans un rôle de bourreau. Par des parents en haut de leur statut d’adulte, agissant en seigneurs indétrônables et régnant sur leurs sujets, leurs enfants, assimilables à de véritables roturiers. Les parents devraient penser à se rapprocher un peu plus de leurs progénitures, se baisser à leur niveau de compréhension. Se rappeler qu’ils furent également enfants, qu’ils savaient alors ce que cela fait, ce que l’on ressent lorsqu’on est pris de haut par ses parents. Et ainsi, arriveraient-ils surement à mieux comprendre ce qui se passe dans la tête de leurs filles et de leurs fils. » 

……………………………………………………………………....
        Mais ce beau discours ne restait que dans la tête de Carlie, pas un mot ne sortit de sa bouche muette. Et quand un passager à côté d’elle lui demanda ce qu’elle pensait du fait de fouetter son enfant en guise de punition, elle ne fit qu’hausser son épaule avec un sourire timide. Heureusement un appel vient à point nommé pour la sauver de ce moment gênant.   
–  Allô !
–  Carlie ? 
–  Oui, c’est elle. 
–   C’est Justin.
   Silence. Panique. Sueur froide. Elle ne savait pas quoi répondre. En s’enfuyant d’un moment gênant, elle vient de se mettre dans un bourbier encore plus gênant. Comment lui signifié qu’elle avait déjà décidé de le larguer au fin fond de sa mémoire sans être trop rude ? 
–   Carlie, tu es encore là ? 
–   Oui…
–   Je vois ! Tu m’avais déjà jeté aux oubliettes. 
–   Non, non ! Je me rappelle bien de toi. répliqua Carlie sur un ton non convaincant. 
–   Ne t’inquiète pas ! Je ne m’attendais pas à des retrouvailles heureuses ; je suis conscient d’avoir attendu trop de temps pour reprendre contact avec toi. 
–  Mmmmm…
–  Je suis vraiment désolé. J’avais quelques problèmes à gérer, tout cela prenait mon temps et mon énergie. 
–  Ta petite amie t’empêchait de m’appeler ? demanda-t-elle tout de go. 
Justin ria au téléphone, puis répondit : 
–  Oui, j’ai une petite amie, et oui elle m’a fait une petite crise de jalousie en voyant ton mot entre mes mains. 
–  Si elle t’a interdit de m’appeler, alors pourquoi tu le fais maintenant ? Et même si elle ne te l’a pas interdit, toujours la même question, pourquoi maintenant Justin ? 
–  Intelligente ! J’aime cela. Ecoute, c’est une longue histoire, je te promets de tout éclaircir avec toi, mais je ne peux pas le faire maintenant au téléphone, il faudrait que tu répondes à mes messages.
–  Est-ce un ultimatum ? demanda Carlie étonnée.
–  Non, Un deal ! Alors ? 
–  Bien ! Mais, je dois t’avertir que si ton histoire ne tient pas la route, je vais te rayer totalement de ma liste de contact. 
–  Tu es dure en affaire ! J’adore ! J’accepte tes conditions. 
–  Bien, j’attends tes messages Justin. 
–  Merci pour la seconde opportunité. 
–  Mmmmm…c’est ta dernière, tu es averti. 
–  Oui madame ! 
Carlie sourit tout bas et raccrocha, puis descendit du bus, car elle était déjà à Carrefour.

Kaléidoscopie d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant