Partie 16

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Carlie trouva sa mère debout devant la barrière de chez elle, celle-ci avait les deux mains sur les hanches et le visage fermé. Madame Michel la guettait avec impatience, elle s’inquiétait beaucoup de savoir sa fille dehors, seule, et tard le soir. Charles-Henry également était avec sa mère, ils paraissaient discuter de quelque chose avant même qu’elle n’arrive. Ils se turent en le voyant rentré. Carlie les salua vaguement et se dirigeait tout droit vers l’intérieur de la maison. Sa mère répondit en un grognement à son salut, mais son grand frère ne répondit pas, celui-là se leva et sorti. On aurait dit qu’il l’attendait pour pouvoir partir je ne sais où dehors, seul, et tard le soir. Sa mère lui demanda avec un rictus désagréable au coin des lèvres :
- Alors tu oublies le chemin du retour lorsque tu sors ! T’étais passé où durant tout ce temps ? Je croyais que tu n’avais plus de cours qui finissait à 19 heures à la Faculté pour cette session.
- Je n’étais pas allée en cours maman, j’étais chez Mira. lança Carlie par-dessus de ses épaules.
- Cette fille-là, je ne l’aime pas trop tu sais. Elle ne devrait pas être ton amie. répliqua sa mère qui changeait déjà de sujet.
- Et pourtant Mira t’adores, tu sais ? fit Carlie sarcastique.
- Il est 22 heures, qu’est-ce que vous avez à vous dire comme ça qui te prenne autant de temps ?
- Non maman, il n’est pas encore 22 heures. Je suis rentrée à 21 heures et 40 minutes. Donc, il restait encore une bonne vingtaine de minutes avant 22 heures.
- Tu ne vas pas laisser ton plat dormir sur la table ce soir ! Depuis midi qu’il est prêt, tu sais, et tu es sorti sans manger. répliqua sa mère qui changeait encore de sujet.
- Je le mettrais dans le réfrigérateur et le réchaufferait demain matin. fit Carlie l’air évasive car elle était déjà distraite sur son téléphone avec les messages de Justin.
- C’est cela !  La grosse marmite de riz blanc se vend à plus de 150 gourdes sur le marché, quant à la marmite d’haricot sèche on demande jusqu’à  400 gourdes pour certaines variétés, sans compter huile, épices, gaz et mes doigts qui se sont brulés à le cuisiner.
- Oui, je sais maman. Mais tu n’es pas obligée de cuisiner chaque jour tu sais. De plus, avec le coût de la vie qui augmente, tu pourrais économiser beaucoup en évitant de cuisiner chaque jour.
- Bien sûr, tu t’en fous de ta santé ! Tu préfères te nourrir de friture et d’autres déchets que vendent les marchands ambulants au centre-ville.
- T’inquiètes pas, je ne vais pas en mourir tout de suite.
- Ton frère n’aime pas du tout quand tu rentres aussi tard Carlie ; il se fait du souci pour toi ma chérie. déclara soudain sa mère d’une voix adoucie.
- Il peut venir me le dire lui-même, pas besoin de passer par toi. maugréa la jeune fille entre les dents en s’enfermant déjà dans sa chambre.

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Justin était assis dans un bar, dans les environs de Delmas 33. La nuit était encore jeune, il aurait pu appeler quelques amis, et boire au point de tout oublier jusqu’aux petites lueurs du lendemain matin. Mais, il n’avait pas le cœur à se saouler cette nuit-là, il n’en pouvait plus. L’odeur de l’alcool lui donnait l’envie de vomir à présent. Il avait besoin de se sentir misérable, de ressentir cette douleur, l’alcool ne faisait qu’anesthésier ses sens et brouillait ses pensées. Il désirait parler à quelqu’un, une personne qui ne le jugerait pas. Peut-être un inconnu, mais trop inconnu que cela, pour ne pas paraitre fou ou bizarre. C’est pour cette raison qu’il avait fouillé dans son répertoire et avait trouvé le numéro de Carlie. Il a hésité un moment à l’écrire. D’ailleurs, cela faisait des semaines qu’il l’avait promis de reprendre contact et il ne l’avait pas fait. De toutes les façons, il n’a rien à perdre à présent, son monde s’étant déjà écroulé. Elle était la personne idéale pour l’aider à fuir un peu ses pensées. Elle, une belle fille qui ne paraissait pas trop stupidement fermée sur son nombril.
Les derniers jours furent très difficiles et compliqués pour Justin, il a dû essayer d’évoluer et même de changer d’opinion sur différentes choses. Sa relation avec Saradjie a pris un coup dont il se doute pouvoir se remettre. Lui-même ne l’aurait jamais cru se tromper à ce point à propos de sa petite amie. Tout sauf ça ! Il a grandi avec elle, joué avec elle, partagé ses petits secrets, et s’est battu avec elle étant enfant. Il a connu ses premiers cœurs brisés, réparé les erreurs de nombreux cons, et l’aidé à se rebâtir. Pourquoi tous ces efforts ? Toutes ces attentes ? Tous ces projets ? Justin ressentait cela bien plus qu’une trahison, il se voyait comme quelqu’un qui venait de perdre des années d’investissements. Et c’est juste à ces yeux, car ce sont des années de sa vie qu’il a hypothéqué en elle qui se sont envolées en fumée.
Avait-il déjà pressenti ce virement de situation ? Est-ce pour cela qu’il s’est mis soudainement à s’intéresser si intensément à Carlie ?  Il ne savait pas, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Cela dépassait son entendement. Il essayait juste de ne pas détester Saradjie, il cherchait à la comprendre, il voulait faire preuve d’ouverture d’esprit, parce qu’il l’aimait par-dessus tout. Elle était sa meilleure amie, sa confidente, sa complice, et son amour. Comment lui en vouloir, lorsqu’elle-même paraissait aussi perdue que lui ? Cependant, elle l’avait utilisé, et il répugnait à ce que ses actions ont une finalité tout autre de ce qu’il se donnait. Il aurait pu l’appeler, lui dire qu’il l’aimait, qu’il ne voulait pas abdiquer, que ce n’est pas si différent que cela, juste que la concurrence sera un peu plus rude, qu’il n’était pas disposé à la partager, et qu’il pouvait la rendre heureuse tout en acceptant cette différence. Malheureusement, quelque chose le retenait, la situation était bien plus compliquée que cela. Car, elle avait décidé de séjourné définitivement à l’étranger. Allait-il tout abandonner ? Tout ce qu’il essayait de construire ici en Haïti pour recommencer au Canada ? Sa vie était en Haïti, sa famille, ses amis, ses rêves, ses projets et son avenir.  Par quel bout prendre le problème ?

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