Voyager nous donne tous ce sentiment de pure liberté, mais tellement éphémère. Même si on sait bien que l'on doit et que l'on va revenir, mais on a cette impression de partir pour ne plus y retourner. La tête appuyée contre la vitre de la voiture, elle pensait à s'en aller très loin de tout le monde. L'idée de s'éloigner de tout et d'aller s'établir quelque part où personne ne la connaissait juste pour tout recommencer lui souriait à l'esprit. L'arrivée de Justin avait donné des couleurs à sa vie, cependant ce n'était pas assez. Sa venue ne pouvait enlever toutes les couleurs ternes de son existence qui s'assombrissaient de jours en jours. Il y avait sa relation avec son grand-frère Charles-Henry, ses rapports de plus en plus tendues avec sa mère et son amitié avec Mirabelle qui ne tenait à présent qu'à un fil. Carlie se rendait compte que son cercle était trop fermé, et qu'elle était en train de perdre un à un les gens qui comptaient pour elle.
Du coin de l'œil, elle observait Justin qui conduisait, et elle voulut lui dire quelque chose. Malheureusement, rien ne lui venait à l'esprit et le malaise qu'elle avait ressenti plus tôt était revenu. La jeune femme essayait de se contrôler pour ne rien laisser paraitre, et regrettait amèrement d'avoir encore une fois monté devant à côté de Justin. Elle peinait pour bien se tenir dans son siège, mais des brides de souvenirs lui venaient à l'esprit. Une pancarte, un arbre sur la route, un virage, une maison. Des petits détails qu'elle reconnaissait, mais qu'elle ne devait pas normalement connaitre puisqu'elle est censée se rendre pour la première fois à Jacmel. Le paysage ne lui était pas familier, et paradoxalement, elle avait cette impression de déjà-vu qui lui donnait la nausée. Une peur au ventre qui la tenait-là et qui refusait de s'en aller. Elle se répétait maintes-fois que tout allait bien, tout en guettant l'approche d'un danger imminent.
Carlie se força à fermer les yeux, elle essayait d'éviter de regarder la route, et espérait trouver le doux sommeil des voyageurs. Malheureusement ce fut peine perdue. Elle ne se sentait toujours pas bien, et son état s'aggravait. Les sueurs froides étaient revenue, elle tremblait comme une feuille, se grattait le corps frénétiquement et entendait des voix. Des voix qui n'étaient pas celles des personnes qu'elle connaissait, et encore moins celles de Justin ou de Jenna, qui étaient avec elle dans la voiture. Elle rouvrit les yeux et les ferma pendant trois fois, mais la radio était toujours éteinte. Carlie en était convaincue, personne ne parlait à côté d'elle. Pourtant, il y a avait cette voix de femme qui lui parvenait de loin et lui chuchotait à l'oreille. C'était des propos incompréhensibles, presqu'inaudibles parce que Carlie ne pouvait pas faire la distinction entre les propos de la femme des nombreuses autres voix qui lui criaient dans la tête. Finalement, pour ne pas éveiller les soupçons de Justin qui était très concentré sur sa conduite, elle se tourna vers sa vitre, et ferma les yeux. La jeune femme essayait de ne pas paniquer, elle s'évertuait d'écouter ces voix qui devaient bien vouloir lui dire quelque chose. Dans ce brouhaha de paroles, de cris, de chuchotements, on pouvait aussi distinguer des bruits qui n'étaient pas humains. Comme un crissement de pneu, une balle tirée au loin, le bruit d'un moteur qui vrombissait, et des vitres qui se brisaient. Qu'est-ce que tout cet amalgame de sons, de mots, d'images, et de sensations voulaient dire pour elle ?
La jeune femme recouvrait la mémoire de ses sens, et le son, n'était qu'un début. La douleur s'invita aussi dans la danse. Elle avait mal dans sa jambe, une douleur chaude qui lui déchirait les entrailles. Cela lui pesait, et coulait dans tout son corps. Carlie laissa échapper une plainte au début, parce qu'elle voulait contenir sa douleur. Mais c'était bien au-dessus de ses forces, et finit par hurler. C'est alors que quelqu'un cria un nom, un qui ne lui était pas étranger, un qui lui semblait être sien :
- Sophia ! Sophia !
Brusquement elle ouvrit les yeux, et elle vit qu'elle n'était plus dans la voiture avec Justin et Jenna. Elle n'était plus en 2017, il ne faisait plus jour, elle ne portait plus les habits qu'avait prêté Harley et n'avait plus 24 ans. Carlie n'était plus elle-même, mais Sophia, une petite fille de 3 ans tout au plus. Elle avait des nattes, ses cheveux longs tressés qui couvraient ses grandes oreilles. Sa robe était tachée de sang, du sang d'une femme qu'elle ne reconnaissait pas, mais qu'elle ne pouvait pas s'empêcher d'appeler maman. La femme était sans vie, et lui recouvrait de tout son corps, comme un gilet-par-balle humain. Des petits trous sortaient du dos de la femme qui pesait lourd sur son petit corps. Des petits trous qui avaient déchirés ses beaux vêtements, et dont le sang n'arrêtait pas de couler. Sophia compta six petits trous, et toucha l'un d'eux, le liquide vital était chaud. Quelqu'un encore une fois cria son nom :
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Kaléidoscopie d'une vie
Short StoryJustin et Carlie grâce à la complicité du hasard se sont croisés dans un bus qui quittait Carrefour pour le Centre ville de Port-au-Prince. Depuis lors, les fils de leurs vie se sont entremêlés ; formant ainsi un noeud d'affection, de complicité et...