Partie 25

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Justin vivait seul dans son petit appartement de deux pièces, l’une qu’il utilise pour travailler, lire et recevoir, l’autre pour cuire à manger, et dormir. Il vivait dans un building de trois étages et se promettait chaque année de le quitter parce qu’il s’était fissurée en 2010 lors du tremblement de terre, et que les propriétaires s’étaient uniquement contenté de camoufler les fissures sous une couche de ciment et de peinture fraîche. Mais, il se résignait à y rester encore pour une autre année, le temps de pouvoir trouver mieux et pas trop cher.
Quand il rentra chez lui ce soir-là, il se sentit si lasse, si fatiguer de sa solitude. Il aurait tellement aimé amener Carlie dans son antre, lui faire découvrir sa collection de roman d’auteurs de la caraïbe et de l’Afrique, lui faire écouter ses musiques de Jazz préférées, lui offrir à boire de son unique bouteille de vin français qu’il garde précieusement. Il s’allongea sur le dos sur le tapis qui recouvrait toute la pièce de son salon-bureau, ouvrit son ordinateur, brancha son petit haut-parleur Bluetooth, et le son de la musique de Sam Cook, A change is gonna come, remplit la pièce.
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Il était aux environs de 22 heures, quand Justin décida de faire du grand ménage dans son appartement. Il mit la musique à fond. Il ne ressentait plus aucune fatigue, à part qu’il était en train de prendre un autre tournant dans sa vie. Il venait d’avoir son visa pour visiter le pays des Yankees, le lancement de son projet concernant la lancée d’une maison de distribution était maintenant officiel, et surtout il y avait une autre femme dans sa vie.
Balai en main, torse nu, en sueur, Justin chantait à tue-tête, I got a woman de John Lee Hooker. Parfois il s’arrêtait, pour se servir du balai comme micro, ou comme guitare imaginaire. Il dansait,  virevoltait dans les airs, et faillit presque se tordre le cou en voltigeant dans les escaliers pour aller jeter sa poubelle. Sa voisine de palier, lui fit une petite blague sur sa soudaine bonne humeur, et lui fit comprendre qu’il y a bien longtemps qu’elle ne l’avait pas vu ainsi. Revenue dans la chambre, il s’assit en califourchon pour mettre de l’ordre dans ses papiers, continuant à chanter, et parfois, ne faisait que pianoter sur un clavier  imaginaire. C’est alors que son chat, sortit en bondissant d’un lit qu’il s’était fait dans une boite en carton rempli de vieux papiers.
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Intrigué par l’attitude bizarre de son maitre, le chat de Justin se tenait à l’écart sur ses pattes et le fixait intensément. Doucement, le jeune homme se mit à examiner les papiers qui se trouvaient dans la couchette de son chat. Il comprit vite que c’était les livres, cahiers, livrets et feuillets qui peuplaient sa vie d’étudiant à l’ENST. Il allait se décider à les brûler, quand il se dit, qu’il y avait sans doute des trucs dedans qui seraient utiles à quelqu’un d’autre, et il se mit à trier ce qui était bon pour le feu et ce qui pouvait toujours servir. Quand alors, il tomba sur une vieille lettre écrite par Saradjie. Son ex-petite amie pouvait se transformer en une vraie poétesse quand elle le voulait bien, elle savait jouer avec les mots, leur faire prendre la forme qu’elle voulait. Sa lettre parlait de promesse d’amour éternel, d’amitié tissée avec des fils d’or, et d’être partenaire pour cette vie et celle dans l’au-delà.
Justin se rappela sa conversation avec elle, après qu’il eut reçu cette lettre. Ils étaient étendus, un soir de pleine lune, dans l’un des vieux canapés sur le toit de la maison des parents de Saradjie à Port-au-Prince. Ils venaient tous deux d’obtenir leur diplôme dans leur Université respective, leur avenir ensemble se dessinait déjà devant leurs yeux. Il lui avait dit ce soir-là :

– J’aimerais tant rire, pleurer, danser, courir, dormir, me réveiller, souffrir et rêver à tes côtés.
Elle lui avait demandé :
– En somme, tu aimerais vivre à mes côtés ?
– Oui, soufflait-il à ses oreilles en la serrant encore plus fort dans ses bras. Il voulait qu’elle ressente ses paroles jusque dans ses os.
Elle s’était retournée brusquement pour lui faire face en demandant avec les yeux rieurs :
– Mais et après ?
Il avait souri et avait pris le visage de la jeune fille dans ses mains en répondant :
– On continuera de s’aimer.
– Tu crois vraiment qu’il existe quelque chose après pour nous ?
Il l’avait attirée par la taille vers lui et avait dit en la regardant droit dans les yeux :
– Oui, sinon la vie serait une très mauvaise blague.
Elle avait ri et acquiesça en disant :
– Ou un très mauvais film, n’est-ce pas ?
– Oui, elle remporterait la palme d’or du mauvais film ou de la mauvaise blague de tous les temps.
Ils avaient ri, puis s’étaient embrassés comme jamais auparavant, comme pour sceller ce pacte, avec la lune pour témoin.
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Ses souvenirs prirent tout d’un coup un gout de fiel dans sa bouche, et il se rappela de la dernière fois qu’il eut à parler avec elle. Les souvenirs douloureux revenaient avec fracas dans son esprit malgré qu’il essayait de les réprimer. Il se rappela de l’email de cette Jenna Fox, qui parlait de Saradjie en ces mots : « […] Je comprends que cela t’effraie le fait que c’est toi qui es tombée amoureuse de moi, et cela si vite. […] tes sourires ont ce quelque chose de plus qui les rendent mystérieux, et tes attentions envers moi ont ce goût sucré que seul l’amour peut donner. Sinon, tu n’aurais pas demandé cette résidence permanente au Canada, il n’était pas nécessaire pour ta demande de bourse pour la maîtrise, je le sais et tu le sais. […]  je t’ai fait revivre l’effet du premier baiser, tes premières caresses, ta première nuit avec une femme qui t’aime d’amour. […] » Était-ce la même Saradjie qui lui avait écrit cette lettre ? Était-ce avec la même femme avec qui il avait eu cette conversation sur le toit de sa maison ?  Était-elle déjà lesbienne en lui écrivant ces mots dans sa lettre ? Comment doit-il comprendre cela ? Comment est-ce possible qu’il n’ait rien remarqué dans ses gestes, dans ses paroles, dans ses réflexions ?

Justin se rappela le sentiment de désarroi qui l’avait rempli lorsqu’il avait hurlé le nom de Saradjie. Les larmes aux yeux, à cause de la colère, la surprise, la tristesse, et la honte. Tous ces sentiments se mélangeaient dans son esprit et faisaient couler des larmes de rage de ses yeux. La jeune fille avait rapidement quitté l’eau et couru vers lui. Il hurlait encore son nom lorsqu’elle arriva à sa hauteur. Il la regarda avec mépris. Il tendit sans explication aucune l’ordinateur à la fille, celle-ci ne comprenait pas. Il l’ordonna de regarder l’email. Elle s’exécuta, car elle avait compris que Justin était sérieux. Elle vit l’émail, ne comprit pas un mot, son cerveau se mélangea les pincettes un moment et ne put trouver d’explication rationnelle à ce qui lui faisait face. Quand soudain, elle vit le nom de Jenna Fox comme expéditrice, et cet instant, toute la lumière se fit dans son esprit. Et elle se rendit compte que c’était bien pire que ce qu’elle croyait.
– Justin…je peux tout t’expliquer, commença-t-elle par dire.
– VRAIMENT ! Il y a quelque chose d’autre à expliquer ? cria-t-il.
–  Non…écoute Justin…je…elle…c’est elle qui…balbutia-t-elle au début mais finit par se taire en voyant la colère qui explosait dans le visage de son compagnon.
– Alors, tu as fait l’expérience d’une autre première fois au lit, c’était comment ? demanda-t-il avec dégoût. Était-elle mieux que moi ? Dis-moi, cela te plait d’embrasser une femme, de la sucer ? Je suppose que tu te sens mieux, d’ailleurs tu adores dominer les gens, tu étais celle en dessus n’est-ce pas ?
– ARRETE ! Tu deviens très vulgaire là ! coupa-t-elle qui ne supportait pas l’idée que son petit ami faisait d’elle.
– Ne me dis pas de me TAIRE ! Je pourrais devenir très vulgaire si je voulais et même pire. menaçait-il en tenant ses poignets fermement.
– Nooon ! Tu n’oseras pas ? demanda-t-elle avec une vague d’effroi dans les yeux.
- JE POURRAIS SI JE LE VOULAIS. argua-t-il contre elle. Mais, je reconnais ton droit d’aller chercher ailleurs, puisque je ne te suffis plus. Tu as plein droit sur ton corps, sur ta vie. Et je n’ai aucun désir de t’empêcher de vivre ta vie comme tu l’entends. Utiliser la force sur toi ne fera que salir tout ce que nous avions construit ensemble, comme toi tu viens de le faire en me mentant, et en me trompant avec cette femme. dit-il en lâchant les poignets de la jeune femme.
– Je suis désolée…je…je ne voulais pas insinuer que tu allais me frapper. s’excusa-t-elle
– Tu me connais MAL, si tu crois que j’allais user de la violence contre toi en découvrant ta supercherie. Cela démontrait juste que je ne suis pas meilleur que toi. continua-t-il sur le même ton. Je suis en colère pas parce que tu as aimé une autre personne, et non plus parce que tu es une lesbienne à présent, tu es dans ton DROIT ! Mais, je suis en colère parce que tu m’as TROMPÉ, tu m’as MENTI, et parce que tu m’as fait croire que j’étais le SEUL, le seul dans ton cœur et dans tes pensées. Et SURTOUT, parce que je viens de passer des années de ma vie, de mon existence, à ne me consacrer qu’à toi Saradjie, qu’à TOI !
–  Justin, ce n’est pas que je ne t’aime pas… disait-elle mais Justin fit mine de lui tourner le dos en entendant ses paroles. C’est parce que je t’aime que je ne pouvais m’y résoudre à tout te dire, je savais que cela te ferait du mal et…
– NON ! NON ! Arrête Saradjie, arrête ! Tu ne m’aimes pas ! cria-t-il en se retournant vers elle. C’est ELLE que tu aimes ! Car c’est elle qui savait TOUT, c’est elle qui était au courant de mon existence, et c’est moi qui étais gardé dans L’IGNORANCE. C’est à moi que tu as menti, c’estmoi L’IDIOT, le COCU de l’histoire.
Sur ces mots il tourna les talons, la jeune femme lui courut après, mais il en avait fini avec elle. Il se souvient qu’elle se mit à pleurer, qu’elle jura que ce n’était qu’une erreur, qu’elle allait tout arranger. Il allait fléchir un moment, lorsqu’il la vit dans ce piteux état, il ne pouvait supporter de la voir pleurer. C’est alors que Saradjie déclara, qu’elle ne supportait pas Jenna, qu’elle avait déjà tout arrangé, qu’elle avait déjà pensé à un moyen pour quitter Jenna définitivement, que c’était pour cela qu’elle l’incitait autant pour qu’il vienne la voir au Canada, et qu’après il pourrait bien venir habiter avec elle.  A ce moment tout s’éclaira, il comprit qu’elle aimait vraiment cette Jenna, parce qu’elle avait du mal à s’en débarrasser même lorsqu’elle était en Haïti, et il comprit qu’il ne serait qu’une béquille d’un amour que Saradjie se refusait. Au final la jeune fille était le plus à plaindre que lui, car elle était amoureuse d’une personne qu’elle rebutait, et qu’elle s’en privait avec difficulté.

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